J’aimerais d’ailleurs savoir ce qu’en pensent leurs employés

Interview AGEFI, Guillaume Meyer, Levi-Sergio Mutemba

Quel message adressez-vous aux 140 chefs d’entreprise qui ont signé une lettre ouverte à l’attention de l’UDC pour soutenir la libre circulation?
Je comprends que les signataires de cette lettre goûtent peu la perspective d’une remise en cause de l’accord sur la libre circulation des personnes. Ce sont précisément les managers des grandes entreprises, à qui la libre circulation permet de recruter librement des compétences meilleur marché dans les pays de l’ue. Mais, s’ils doivent licencier par la suite, ce sont les œuvres sociales suisses qui paient la facture. J’aimerais d’ailleurs savoir ce qu’en pensent leurs employés. Il est plus intéressant d’observer que peu d’entrepreneurs ont signé cette lettre.

Qu’est-ce que cela devrait signifier?
Tous les chefs d’entreprise veulent gagner de l’argent. Mais par définition, l’entrepreneur, qui possède et dirige son entreprise, se préoccupe davantage de la stabilité d’un système sur le long terme que des profits à court terme. A l’inverse, les managers, qui ne restent en poste que quelques années et s’en vont, inscrivent leur action dans une logique plus court termiste.

Les entrepreneurs ont joué un rôle décisif dans la construction de la Suisse moderne. A l’heure de la reconstruction, pourquoi tant d’entre eux ne se reconnaissent-ils pas dans votre discours?
C’est vous qui le dites. Ceux qui peuvent ne pas se reconnaître dans mon discours sont précisément les dirigeants de grandes entreprises, les «technocrates de l’économie» que décrivait John Kenneth Galbraith. Je ne conteste pas leur importance, ni ne remets en cause la nécessité d’un dialogue permanent entre cette branche de l’économie et la politique. Je dis simplement que les top managers ne sont pas les conseillers les mieux avisés pour les grandes décisions de politique économique.

Des personnalités comme Konrad Hummler – libéral, conservateur et souverainiste comme vous – n’ont pourtant pas rejoint votre camp politique. Pourquoi?
Je ne m’étonne pas de ce que Konrad Hummler, que j’estime beaucoup, ne soit pas à l’UDC. Je crois qu’il tient peut-être à respecter sa filiation paternelle. Son père était radical, après tout. Cela dit, nous partageons de nombreux points en commun. Je me réjouis qu’il ait pris la présidence du groupe nzz et j’espère qu’il fera bouger les choses. En fin de compte, il me semble plus profitable qu’un esprit libre comme Konrad Hummler s’applique à faire évoluer les mentalités au plr et à la nzz plutôt qu’il rejoigne l’udc.

A vous entendre, la politique doit moins tenir compte des intérêts des grandes entreprises. Rêvez-vous d’une Suisse de petites et moyennes entreprises?
Non. Encore une fois, je n’ai rien contre les grandes entreprises. J’essaie simplement de rester critique face à la propagande d’economiesuisse. Je ne prends pas vraiment au sérieux les menaces de délocalisations. Il s’agit d’une ritournelle un peu usée.

Comment réagissez-vous au fait que l’Union suisse des arts et métiers (usam), présidée qui plus est par un udc, soit sur la même ligne que les top managers en matière de libre circulation?
l’usam est une organisation qui fonctionne sur le mode du consensus entre l’udc, le plr et le pdc. Comme toujours, il y a ce que dit l’association faîtière et ce que pensent vraiment les chefs d’entreprise. Le discours des associations varie selon l’époque: en 1992, lors du débat sur l’adhésion à l’Espace économique européen, l’usam et economiesuisse prédisaient la fin de la Suisse à moins d’une entrée dans l’eee. On nous chantait les vertus de la monnaie unique. Aujourd’hui, les mêmes sont les plus fervents opposants à l’entrée dans l’ue.

Tout de même, trouver des chefs d’entreprise hostiles à la libre circulation relève de la gageure.
On a cette impression parce que le grand patronat bénéficie d’une meilleure visibilité. J’observe que ceux qui nous tombent dessus ne sont pas forcément très au clair sur ce qu’ils critiquent. Les 140 signataires de la lettre enfoncent des portes ouvertes en répétant que l’économie suisse a besoin de travailleurs étrangers. Jamais nous n’avons prétendu l’inverse! L’initiative que nous avons lancée ne veut pas mettre un terme à l’immigration. Nous voulons simplement revenir aux règles d’avant l’introduction de la libre circulation en 2003.

Revenir aux contingents pour les permis de travail des personnes en provenance de l’UE signifie revenir à la bureaucratie qui a obéré la croissance suisse pendant des années.
C’est un effet d’optique. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que ces règles étaient bien meilleures. En l’affirmant, je ne trahis pas la pensée d’une grande partie du monde économique. La Suisse ne peut pas se permettre de sacrifier son autonomie en matière migratoire. Hors de l’ue, je ne connais aucun pays qui ait fait ce choix. Surtout pas les pays d’immigration classiques que sont les Etats-Unis, le Canada et l’Australie. Où les restrictions migratoires n’ont pas constitué, que je sache, un frein à la croissance.

Ces pays sont-ils aussi tributaires de la main-d’œuvre étrangère que la Suisse?
Ils le sont évidemment dans une moindre mesure, mais ils font face aux mêmes types de problèmes d’un secteur à l’autre. Ce que craignent les employeurs suisses, et c’est compréhensible, c’est qu’il soit plus difficile de recruter un étranger pour un poste pour lequel ils n’auraient pas trouvé de Suisse, puisque notre initiative demande de le prouver au préalable. Il faudra de toute façon favoriser le dialogue dans l’application. Notre initiative vise avant tout à prévenir l’harmonisation générale des salaires suisses vers le bas.

Pour l’heure, aucune statistique ne fait état d’une telle tendance. Selon le Seco, les cas de dumping salarial sont l’exception et non la règle.
Ce n’est parce que la baisse n’est pas spectaculaire qu’elle n’existe pas. On ignore quel serait le niveau des salaires s’il n’y avait pas la libre circulation. Si l’économie suisse veut continuer à miser sur les produits à haute valeur ajoutée, il faut se donner les moyens de pouvoir verser des salaires élevés en Suisse. Sinon, nous finirons par produire des biens qu’on pourrait faire ailleurs. A moins qu’on juge sensé, à terme, de produire en Suisse à des salaires moindres avec 30% d’employés étrangers!

N’est-il pas possible d’éviter cela sans aller jusqu’à résilier l’accord de libre circulation?
Nous n’envisageons d’exiger sa résiliation qu’en dernier recours, si l’ue refuse de l’adapter. Cet accord est de toute façon absurde. Il ancre une préférence pour les travailleurs européens qui n’est pas justifiée. Pourquoi l’industriel qui veut engager un Américain, un Africain ou un Japonais fait-il face à des procédures plus compliquées? Une préférence ne se justifie que pour les Suisses. Les autres doivent être mis sur un pied d’égalité. En plus, nous avons cru que la libre circulation amènerait des Polonais. Ce sont les Allemands, les Français et les Italiens qui sont venus. Je doute que ce soit vraiment l’esprit de la libre circulation que de retirer des compétences à l’économie allemande, qui doit recourir, elle, à des Polonais!

Interview:
Guillaume Meyer
Levi-Sergio Mutemba

Angle initiative Minder

Vous avez un autre contentieux avec la «grande économie»: l’élaboration du contre-projet à l’initiative contre les rémunérations abusives. Qu’est-ce qui vous sépare, sur le fond, des positions d’economiesuisse sur ce sujet?
C’est un cas d’école. L’initiative pose une question-clé: qui peut décider des rémunérations des membres de la direction? economiesuisse voudrait un vote facultatif des actionnaires, ou les laisser libres d’en décider dans les statuts de l’entreprise. Mais ces propositions ne prennent pas la juste mesure de l’enjeu. Dans les grandes entreprises, qui possèdent un actionnariat fragmenté et disséminé, il en va de la protection de la propriété privée. Sinon, le pouvoir des actionnaires reste théorique.

Vous incarnez une position médiane entre l’initiant Thomas Minder et le président d’economiesuisse Gerold Bührer, avec lesquels vous dialoguez régulièrement. Peut-on les réconcilier?
Gerold Bührer a bien identifié le problème, mais il est au service des top managers… Je ne peux pas transiger sur le principe que les propriétaires d’une entreprise doivent avoir le dernier mot sur les rémunérations du management. J’espère que nous pourrons trouver une solution après les élections. Si nous nous accordons sur ce point précis, j’ai bon espoir que Thomas Minder retire son texte. Reste encore le problème de la taxation des bonus, que la gauche et le pdc veulent intégrer au contre-projet. S’ils parviennent à leurs fins, l’UDC soutiendra l’initiative Minder sans état d’âme. Ce texte n’est pas si extrême: il est clair sur le fait que l’Etat n’a pas à intervenir dans les questions de politique salariale.

Le pdc présente cette taxe sur les bonus comme la planche de salut du contre-projet devant le peuple. L’argument pédagogique est-il valable?
C’est absurde. Le pdc prend les gens pour des imbéciles sans s’interroger sur ce qui constitue peut-être le vrai problème: un certain manque de culture économique dans le public. L’enjeu n’est pas seulement d’ordre éducatif. La façon dont les médias généralistes parlent de l’économie est en soi critiquable. On s’intéresse avant tout aux grandes sociétés cotées, sans vraiment remettre en cause leur discours car les journalistes sont complètement inhibés face à cette matière. Pourtant, les dirigeants des petites et moyennes entreprises, qui représentent l’essentiel du tissu économique suisse, parlent simple et clair. Ils devraient moins hésiter à prendre la parole. L’économie n’est pas affaire de spécialistes. L’économie, c’est la vie. (gm)

Angle secret bancaire

L’état actuel de la protection de la confidentialité bancaire vous satisfait-il?
Le secret bancaire reste garanti pour les citoyens suisses. Si l’on veut changer la loi, l’udc lancera le référendum. Pour les étrangers, le Parlement, contre l’avis de mon parti, a accepté de lever le secret bancaire pour les cas de soustraction fiscale. C’est une exception au principe de double incrimination que je considère comme une atteinte à notre ordre juridique. La protection de la confidentialité bancaire ne me satisfait donc qu’à moitié.

Pourquoi l’udc a-t-elle renoncé à attaquer par référendum les conventions révisées de double imposition?
Ces questions sont trop compliquées pour avoir une chance de succès devant le peuple. Ces règles, du moins à première vue, ne concernent pas les Suisses mais les étrangers. Il en ira autrement le jour où l’on remettra en cause le secret bancaire en Suisse.

Pourquoi n’avez-vous pas soutenu plus activement l’initiative lancée par la Lega pour l’inscription du secret bancaire dans la Constitution, qui a échoué faute de signatures?
Le secret bancaire est inscrit dans la loi. Pourquoi lancer une initiative pour introduire quelque chose qui existe déjà? Après, il faut encore se mettre d’accord sur ce qu’on veut exactement inscrire dans la Constitution… A ce stade, cette initiative posait davantage de problèmes qu’elle n’en résolvait. Elle aurait même pu gêner les discussions en cours sur l’impôt libératoire. On pourra toujours réactiver ce projet plus tard, si le Conseil fédéral et le Parlement avalisent de nouvelles concessions sur le secret bancaire.

Concernant l’impôt libératoire, êtes-vous sur la même ligne que les milieux bancaires?
Sur le principe, je soutiens fermement ce projet. La raison en est simple: en Suisse, nous avons l’impôt anticipé qui permet de lutter efficacement contre la fraude fiscale en incitant le contribuable à déclarer aux impôts directs ses revenus et sa fortune. Tant que nous n’aurons pas de mécanismes similaires vis-à-vis de l’étranger, nous nous exposerons à la critique de traiter différemment les Suisses et les étrangers. Les négociations sur l’impôt libératoire visent à résoudre ce problème. Mais j’attends les détails pour me prononcer définitivement.

Où placez-vous la ligne rouge?
Je ne transigerai pas sur le respect de la confidentialité et n’accepterai pas ce projet au prix d’une nouvelle relativisation du secret bancaire pour les ressortissants concernés. L’autre paramètre clé sera la hauteur des taux d’imposition sur les revenus futurs, qui ne doivent évidemment pas excéder ce que le client paierait dans son pays d’origine, ainsi que le taux appliqué pour régulariser le passé, qui doit rester raisonnable. (gm)

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