L ‘UDC est-elle soluble dans la responsabilité gouverne-mentale?

Débat avec l ‘ancien président du Parti radical, Franz Steinegger dans Le Temps du 29. septembre 2003

Depuis le rejet de l ‘Espace économique européen (EEE), l ‘UDC s ‘est confinée dans un rôle d ‘opposition. Une situation nouvelle pourrait se créer si elle obtenait un second siège au gouvernement. Christoph Blocher,qui nie tout intérêt personnel pour ce poste,en débat avec l ‘ancien président du Parti radical, Franz SteineggerContrairement à l ‘UDC, le PRD pense que le rejet de l ‘EEE était une erreur. Les deux partis ont des avis divergents sur la manière dont le Conseil fédéral doit se positionner vis-à-vis des négociations bilatérales. L ‘élargissement de l ‘UE est une autre source de division entre l ‘UDC et le PRD.

Alors que les autres partis avaient tendance à la considérer avec condescendance,
l ‘UDC est aujourd ‘hui la principale force du camp bourgeois. Après les élections fédéralesdu 19 octobre, elle pourrait aussi avoir pris pied en Suisse romande.
L ‘UDC va-t-elle se transformer de parti d ‘opposition en force gouvernementale pleinement intégrée?
Christoph Blocher, maître à penser de l ‘UDC, et Franz Steinegger, ancien président du Parti radical, en débattent.

Franz Steinegger ,des parlementaires expérimentés vous verraient bien succéder à Kaspar Villiger. Et vous, Christoph Blocher, vous seriez peut-être le candidat idéal de l ‘UDC au cas où elle obtiendrait un deuxième siège.Vous pourriez ainsi vous retrouver côte à côte au gouvernement dès janvier. Qu ‘en dites-vous?
Franz Steinegger: Je n ‘éprouve aucune appréhension envers M.Blocher. Il est l ‘un de mes adversaires politiques préférés, car il est intéressant de débattre avec lui. Il a des positions claires.

Christoph Blocher ,,vous avez déjà été une fois candidat au Conseil fédéral. C ‘était en 1999. Le serez-vous à nouveau?
Christoph Blocher: Non. En1999, la situation était différente. Mes chances d ‘élection étaient tellement inexistantes que je pouvais me permettre de me porter candidat. Pour le reste, je m ‘en tiens à ce que j ‘ai toujours déclaré: si le parlement devait m ‘élire au Conseil fédéral, j ‘accepterais mon élection. Mais je ne suis pas candidat.

Franz Steinegger,,comptez-vous toujours attendre les élections d ‘octobre avant de déci der si vous êtes candidat à la succession de Kaspar Villiger?
F.S.: Oui.

Christoph Blocher ,,l ‘UDC remet régulièrement en question la représentation du Partisocialiste au gouvernement. Préféreriez-vous un gouvernement entièrement dans les mains des partis bourgeois?
C.B.: L ‘UDC soutient le système de concordance.Cela signifie qu ‘elle accepte un mode de gouvernement où les trois plus grands partis ont deux sièges et le quatrième un seul. Aussi longtemps que nous étions le plus petit des quatre partis, nous avons toujours accepté cette règle. Il ne nous serait jamais venu à l ‘idée d ‘exiger un second représentant avant les élections de 1999. Mais après notre succès électoral d ‘il y a quatre ans, nous étions dans l ‘obligation de revendiquer ce second siège. Les autres partis nous l ‘ont refusé.Ils ont voulu maintenir les deux sièges du plus petit des quatre partis.C ‘est devenu une élection politique, ce qui signifie pour l ‘UDC combattre le
Parti socialiste.

F.S.: Ce qui est déterminant pour l ‘attribution des sièges au gouvernement, ce n ‘est pas le pourcentage électoral,mais la représentation au parlement.Selon cette conception, l ‘UDC n ‘apparaît pas sensiblement plus puissante que le PDC. C ‘est la raison pour laquelle l ‘UDC n ‘a pas obtenu de second siège au Conseil fédéral jusqu ‘à maintenant.

Cela pourrait être différent après les élections.
F.S.: Je ne suis pas un prophète. Mais une constellation intéressante pourrait se présenter en décembre. L ‘expérience démontre cependant que le parlement suisse n ‘aime guère écarter des membres du gouvernement en place.Cela plaide contre l ‘attribution d ‘un second siège à l ‘UDC.

L ‘UDC a obtenu ses plus grands succès grâce à sa politique d ‘opposition. Que signifierait pour vous l ‘obtention d ‘un second siège au gouvernement?
C.B.: Je tiens à rappeler que l ‘UDC n ‘a pas cherché à faire de l ‘opposition.Elle y a été contrainte par les autres partis.Lors de la dernière élection d ‘un UDC au Conseil fédéral, les autres partis n ‘ont même pas voulu élire l ‘un de nos candidats officiels. Ils ont préféré Samuel Schmid, qui, sur des questions aussi centrales que l ‘asile, l’utilisation de l ‘or de la BNS ou les engagements de l ‘armée à l ‘étranger, défend des positions différentes de celles du parti. Si nous avions un second conseiller fédéral et que celui-ci était complètement sur notre ligne politique, je pense que le gouvernement ferait davantage de compromis que l ‘UDC pourrait soutenir.

F.S.: Il n ‘est pas tout à fait exact de dire que l ‘UDC est dans l ‘opposition depuis 1999.Elle joue ce rôle depuis plus longtemps, M.Blocher. Cela a commencé dans les années 90. L ‘élément déclencheur a été la question européenne.Je juge extrêmement problématique d ‘être au gouvernement et de mener simultanément une politique d ‘opposition fondamentale.Mais je dois concéder une chose à l ‘UDC.Après le rejet de l ‘EEE, les perdants,à commencer par le Conseil fédéral, n ‘ont pas traité correctement les gagnants. Après le rejet d ‘un projet en votation populaire, il est de tradition que le gouvernement s ‘asseye à la même table que les “vainqueurs ” pour discuter de la suite. Cela n ‘a pas été fait en 1992.Au contraire. Le Conseil fédéral a poursuivi son
but d ‘adhésion à l ‘UE et entamé les négociations bilatérales.Cela a eu pour conséquence que l ‘UDC a pu mener sa politique d ‘opposition.

Qu ‘aurait dû faire le Conseil fédéral à l ‘époque?
F.S.:
Il aurait fallu laisser la question de l ‘adhésion en arrièreplan et contraindre les adversaires de l ‘EEE à afficher leurs intentions dans le cadre des négociations bilatérales. Il n ‘y a jamais eu de vraie discussion entre le Conseil fédéral et ceux qui avaient gagné la votation de l ‘EEE. C.B.:L ‘EEE était un aiguillage très important pour la Suisse. Le Conseil fédéral n ‘a d ‘ailleurs pas considéré cet accord comme n ‘importe quel accord de libre-échange. Adolf Ogi avait parlé à l ‘époque de “camp d entraînement ” pour une adhésion ultérieure à l ‘UE. La conseillère nationale Vreni Spoerry a utilisé l ‘expression de “fiançailles ” avec l ‘Europe.L ‘EEE était ainsi, de fait, un vote sur l ‘adhésion. Il ne faut pas oublier que le Conseil fédéral avait déposé, quelques mois avant le scrutin, sa demande d ‘adhésion à Bruxelles.

C ‘était une faute politique?
F.S.: Oui. Au printemps 1992, je m ‘en souviens très bien, M.Blocher, vous         n’étiez pas du tout certain de vouloir combattre l ‘accord sur l ‘EEE.Vous étiez avant tout opposé à l ‘adhésion à l ‘UE. Ce n ‘est qu ‘après la décision prise par le Conseil fédéral le 18 mai 1992 de déposer la demande d ‘adhésion que vous êtes devenu un opposant déclaré à l ‘EEE.

C.B.: Je reconnais volontiers que, ce soir-là,j ‘ai bu une bonne bouteille de vin avec Otto Fischer (ndlr: qui était alors le directeur de l ‘Association pour une Suisse indépendante et neutre, ASIN). Mais je reconnais que la décision du Conseil fédéral avait le mérite d ‘être conséquente. Aujourd ‘hui, je dois constater que le Conseil fédéral et la majorité du parlement n ‘ont toujours pas accepté le rejet de l’EEE. On a parlé d ‘une journée noire,d ‘une faute, pire encore, et le gouvernement n ‘a jamais vraiment pris acte de ce vote. La question européenne n ‘a jamais été discutée à fond par le Conseil fédéral, car il n ‘a jamais été uni à ce sujet. Cela a bloqué la Suisse pendant dix ans. Toutes les négociations internationales – les bilatérales avec
l ‘UE, l ‘accord aérien avec l ‘Allemagne, etc.- sont suspectes ,,car on part de l ‘idée que le Conseil fédéral ne les mène que dans la perspective d ‘adhérer à l ‘UE plus tard.

F.S.: Le fait est quand même que le débat européen a permis à l ‘UDC de mener avec succès sa stratégie d ‘opposition.

C.B.: Nous menons aussi une politique d ‘opposition pour d ‘autres raisons: la politique fiscale,la politique d ‘asile, par exemple. Mais on ne prend jamais nos critiques au sérieux, bien que la moitié de la population nous suive.

Le rejet de l ‘EEE n ‘a-t-il pas confiné la Suisse dans l ‘isolement?

C.B.: La Suisse occupe toujours une place importante sur les plans politique et économique. Lors de la votation sur l ‘EEE, on a brandi la menace d ‘un déclin économique. Les faits le démentent:à l ‘exception de la croissance, tous les indicateurs économiques de la Suisse sont excellents en comparaison européenne. Et si nous ne sommes pas parvenus à relancer la croissance, c ‘est parce que, ces dix rnières années, les politiciens ont laissé croître la quote-parte de l ‘Etat plus fortement
que dans les autres pays. A chaque fois contre la volonté de l ‘UDC. Kaspar Villiger lui-même a calculé qu ‘un pour-cent de TVA coûtait environ 12000 emplois.

Franz Steinegger,,quel bilan tirez-vous du refus de l ‘EEE?
F.S.: Je reste convaincu que ce rejet était une erreur. L ‘EEE était une solution raisonnable. D ‘autres pays, soit la Norvège,le Liechtenstein et l ‘Islande,s ‘en accommodent très bien et n ‘ont pas pour autant été absorbés par l ‘UE.La voie bilatérale nous coûte assurément plus cher, d ‘un point de vue institutionnel et
financier, que l ‘EEE. Nous sommes condamnés à établir des règles claires dans nos relations avec l ‘UE.Pour l ‘instant, nous n ‘avons que la solution bilatérale pour le faire.

-La Suisse doit -elle s ‘associer aux accords de Schengen et de Dublin?
F.S.: Il est difficile de répondre à cette question pour l ‘instant. Je pense qu ‘il est important pour la Suisse de participer à l ‘accord de Dublin.Le problème de l ‘asile est tel qu ‘aucun pays ne peut prétendre le résoudre seul. En ce qui concerne Schengen, on avance toujours le fait que les contrôles aux frontières seront supprimés. Il est pourtant beaucoup plus important de considérer que cet accord permet un échange d ‘informations entre les polices des différents pays. A ce titre, l ‘intérêt de l ‘UE est aussi grand que celui de la Suisse. Une collaboration est indispensable.

C.B.:
Plutôt que de se disputer sur des détails, la question centrale me paraît être de dire ce que nous voulons vraiment.

Et que voulez – vous,Christoph Blocher?
C.B.: Une Suisse indépendante et neutre! Nous refusons une Suisse sans frontières et disons non à Schengen !L ‘UE ne nous oblige d ‘ailleurs pas à entrer dans l ‘espace
Schengen,elle nous réclame plutôt des concessions sur le secret bancaire et la fiscalité de l ‘épargne. Alors parlonsen! Mais l ‘UE ne nous demande rien pour Schengen. Et c ‘est tant mieux. L ‘accord de Dublin prévoit un échange d ‘informations dans le domaine de l ‘asile. C’est peut-être une amélioration, mais cela ne résout rien.Il serait essentiel que les milieux politiques aient un avis et une position à ce sujet .Au lieu de cela, ils nous disent :”Attendons de connaître le résultat des négociations.”

F.S.: Nous ne savons tout simplement pas sur quoi les négociations vont aboutir. Il est donc logique que le Conseil fédéral ne prenne pas de position définitive pour le moment.

C.B.: Depuis la deuxième moitié des années 80, il n ‘y a plus eu de vrai débat sur la position de la Suisse dans le monde.Au lieu de cela, on ne prend que des décisions tactiques.

F.S.: Je ne critique pas le gouvernement de manière aussi sévère. Je suis cependant d ‘avis que les conseillers fédéraux devraient davantage s ‘occuper des tâches globales du gouvernement au lieu d ‘être de simples chefs de département. A chaque fois que déboule sur la Suisse un problème important qui nécessite une collaboration entre les départements, comme ce fut le cas avec l ‘Holocauste, nous constatons qu ‘il y a un grand vide et le gouvernement apparaît faible et divisé.

La Suisse appartient à l ‘ONU depuis tout juste un an. Christoph Blocher, vous avez combattu l ‘adhésion à l ‘ONU en prophétisant une grave perte d ‘indépendance. Cette catastrophe s ‘est-elle produite?

C.B.: L ‘adhésion était une erreur, mais le peuple a décidé autrement et j ‘accepte sa décision.La participation à l ‘ONU menace notre neutralité. Elle est de plus en plus ba-
fouée.Nous devons la prendre au sérieux, sinon nous affaiblissons le pays.

F.S.: Etre à l ‘ONU est très important pour la sécurité de la Suisse et je me réjouis que nous y soyons. Ce qu ‘il faut éviter, c’est que la Suisse se sente obligée de prendre position sur tous les problèmes du monde.Mais la participation a plus d ‘avantages que de désavantages. Le terrorisme international ne peut être combattu que sur le plan international. On ne peut tout de même pas aller dire à Ben Laden: “Ne nous faites rien, nous sommes neutres!”

C.B.: Je n ‘analyse pas la situation de manière aussi simpliste. La neutralité vise à prévenir le gouvernement d ‘autoriser des manifestations qui offrent la possibilité à des ennemis de s ‘installer dans notre pays. Ce n ‘est pas un hasard si les Etats-Unis sont aujourd ‘hui les plus menacés par le terrorisme.

L ‘UE est en train de s ‘élargir à l ‘est. Quelles conséquences cela a-t-il pour la Suisse?

F.S.: Je pense que les aspects positifs l ’emportent.Le marché intérieur européen s ‘élargit et devient le plus grand du monde. Comme nous sommes un pays exportateur, nous ne devons pas laisser passer cette occasion. Nous devons y participer. Mais nous devons fixer des directives claires sur les conditions de travail des ressortissants des nouveaux pays membres.

C.B.: Les nouveaux pays adhérents sont pauvres,ont un taux de chômage élevé et un niveau de salaire bas. L’adhésion leur permettra de connaître une croissance économique. Nous en profiterons également.Le grand problème reste la libre circulation des personnes. C ‘est un changement majeur. Nous ne connaissons pas encore le régime de libre circulation avec les pays de l ‘actuelle UE, il n ‘est donc pas question de l ‘étendre aux nouveaux pays. Ce dont nous avons besoin, ce sont des contrats de courte durée pour des ressortissants de ces pays.

Vous reconnaissez que l ‘éco- nomie suisse profitera de l ‘élargissement.La Suisse doit-elle payer pour cela?

C.B.: Pour quelle raison? La Suisse profite aussi de l ‘économie américaine,mais que lui donne-t-elle en guise de contre-prestation? Rien! Nous profitons également du marché chinois et personne n ‘aurait l ‘idée de proposer de participer à un fonds de cohésion en faveur de la Chine ou de réclamer la libre circulation des personnes avec la Chine. Les nouveaux pays membres profiteront aussi de l ‘ouverture du marché suisse.

F.S.: Le problème est que nous n ‘ouvrons pas complètement notre marché, en tout cas pas pour les produits agricoles, qui sont très importants pour des pays tels que la Pologne. En d ‘autres termes, nous recevons des marchés ouverts en Europe de l ‘Est mais gardons le nôtre en partie cloisonné. Pour cette raison, je suis d ‘avis que nous devons être prêts à discuter d ‘une éventuelle participation à un fonds d ‘infrastructures en faveur de l ‘Europe de l ‘Est.

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