Il ne reste plus que deux partis

Interview dans Le Temps du 4 mars 2002

Christoph Blocher s’attend “à ce que la Suisse soit soumise à une forte pression dès la semaine prochaine sur le plan du secret bancaire et de la taxation des intérêts”. Et d’annoncer une chasse aux sorcières à l’égard des personnalités de son parti qui se sont engagées pour le oui et qui lui ont coûté la victoire.

Propos recueillis par Stéphane Zindel

Vous aviez qualifié de “majorité de hasard”, le oui sorti des urnes le 10 juin dernier en faveur de l’armement des soldats suisses à l’étranger. Diriez-vous de même à propos du vote sur l’ONU?
Christoph Blocher: Oui. Au niveau de la majorité des cantons, on peut parler à nouveau de majorité de hasard. La situation est extrêmement serrée dans plusieurs cantons. Si quelques milliers de Lucernois ou quelques centaines de Valaisans avaient voté un peu autrement, le résultat aurait été tout différent. Cela dit, j’ai perdu la votation. Et surtout la Suisse a perdu. Le résultat est ce qu’il est. On ne peut plus rien y changer.

Avez-vous fait des erreurs pendant la campagne?
Blocher
: Nous devrons l’analyser. Nous ne pouvions pas en faire davantage. Nous avons fait le maximum avec les ressources personnelles et financières limitées qui étaient à notre disposition, en nous concentrant sur les cantons importants. Nous n’avions pas les moyens de mener une forte campagne partout. Ce qui nous a certainement beaucoup nui est qu’une partie des représentants de l’UDC se sont laissés instrumentaliser par les partisans de l’adhésion. Ils ont été utilisés quasiment comme figures emblématiques du camp du oui. Je suis convaincu que nous aurions gagné si cela n’avait pas été le cas.

Vous pensez au conseiller aux Etats argovien Maximilian Reinmann, connu habituellement pour ses positions très conservatrices?
Blocher
: Par exemple. Mais aussi l’UDC bernoise – qui a officiellement prôné le oui – comme la section grisonne du reste. Vous noterez au passage que dans les Grisons, l’ensemble des partis gouvernementaux a été désavoué par le peuple – et ce pour la deuxième fois après le 10 juin. Nous allons devoir en tirer les conséquences au sein de l’UDC.

Vous niez à un représentant de l’UDC le droit de défendre un oui à l’ONU de bonne foi?
Blocher
: On peut tout à fait avoir un avis différent de la majorité du parti sur l’une ou l’autre question. Mais lorsque j’ai un avis différent, je ne vais pas aller m’exposer publiquement contre mon parti. En outre, lorsque quelqu’un a un avis différent de la majorité de son parti sur toutes les questions importantes, il devrait songer à changer de parti.

A qui pensez-vous?
Blocher
: Au conseiller national argovien Ulrich Siegrist par exemple ou à sa collègue zurichoise Lisbeth Fehr. On ne peut pas se laisser élire sur un parti qui défend certaines valeurs et une fois élu faire tout à fait autre chose. On ne peut pas se borner à profiter des promesses électorales faites sans les tenir ensuite. Notre parti a un programme très clair qui n’autorise pas des tergiversations ultérieures.

Le oui aux soldats à l’armée puis à l’ONU ont certes été serrés, mais le scénario a tendance à se répéter. Sont-ils l’indice que la Suisse a changé?
Blocher
: Difficile à dire. Dans le cas de l’ONU, c’est la première fois que l’UDC a dû monter au front complètement seule. Dans les votations précédentes, le camp du non était beaucoup plus large. De facto, il n’existe pratiquement plus que deux partis en Suisse sur les questions importantes: l’UDC et les autres. L’UDC est peut-être trop faible pour l’emporter lorsqu’elle est seule et que tous les autres se mettent ensemble – y compris la haute finance et les milieux économiques multinationaux qui ont financé la campagne du oui.

Le oui à l’adhésion est-il un drame pour la Suisse?
Blocher
: Je m’attends à ce que la Suisse soit soumise à nouveau à une forte pression dès la semaine prochaine sur le plan du secret bancaire et de la taxation des intérêts. L’UE et les Etats-Unis ont gentiment attendu le vote sur l’ONU. Maintenant que la Suisse ouvre les vannes et abandonne sa détermination sans faille à vouloir rester un pays indépendant, ils vont revenir à la charge.

Qu’est-ce qui vous fait penser cela?
Blocher
: Je ne suis pas un prophète mais je le sens. Des sources bien informées me le confirment.

L’ASIN a-t-elle encore raison d’être?
Blocher
: Plus que jamais. Pensez-vous que la neutralité ne soit plus menacée? Le Conseil fédéral veut entrer dans l’UE par étapes. Il a désormais atteint la première avec l’adhésion à l’ONU. La deuxième sera de se rapprocher de l’UE par le biais des accords bilatéraux. En abolissant les frontières suisses (accords Schengen) puis en relevant progressivement la TVA à un niveau européen. Nous devons lutter contre ces pas successifs.

A quelles calamités vous attendez-vous après le oui?
Blocher
: Le Conseil fédéral ne pourra pas tenir toutes ses promesses. D’abord sur le plan financier. Si nous étions déjà dans l’ONU, le surcoût ne serait déjà plus de 75 millions par an, comme cela a été dit, mais de près de 100 millions sur la base des nouveaux chiffres du PNB. En matière de neutralité ensuite. On ne pourra plus être neutre à l’égard d’un Etat en conflit avec le Conseil de sécurité – respectivement les grandes puissances qui le contrôlent. CNN a lancé le message ces derniers jours que si la Suisse entrait à l’ONU, la neutralité serait morte. C’est de cette manière que nous sommes désormais perçus. La crédibilité de la neutralité n’est plus assurée. Il ne m’étonnerait pas dans ce contexte que dans les prochains jours les taux d’intérêts à long terme de la Suisse grimpent. L’avantage considérable pour notre marché du travail que nous avons d’avoir des taux bas en comparaison internationale va se réduire dès lors que nous renonçons en partie à être un “Sonderfall”.

Joseph Deiss est-il le vainqueur du jour?
Blocher
: Il faut poser cette question à Joseph Deiss lui-même. Une chose est claire: ce résultat ne lui donne pas une marge de manœuvre supplémentaire. 11 cantons et 45% de la population contre lui malgré l’unilatéralité et la massivité de la campagne – relayée par pratiquement tous les médias, ce n’est pas rien. En s’impliquant pareillement dans la campagne et en recourant aux instruments de la propagande, le gouvernement a perdu énormément de plumes dans l’aventure. Le Conseil fédéral n’est plus le Père de la nation pour tous les Suisses. Cela aura des conséquences sérieuses pour lui.

Cela changera-t-il si l’UDC obtient un deuxième siège au Conseil fédéral?
Blocher
: Non. L’UDC ne choisit pas ses conseillers fédéraux. Ils sont élus par les autres partis. Mais si l’UDC gagne les prochaines élections – et le fait que nous ayions perdu aujourd’hui en renforce les chances – les autres partis vont se réveiller et voir que l’on ne peut pas continuer comme cela. Regardez les résultats de ce dimanche. A Winterthur, nous avons gagné 40% de nouveaux sièges. Nous progressons pour la troisième fois. Cela se répercutera aussi au niveau fédéral l’an prochain. Nous devrons alors présenter la quittance des promesses non tenues par le Conseil fédéral.

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