L’Etat doit protéger les petits actionnaires

Interview dans Le Temps du 2 février 2002


Le conseiller national et entrepreneur zurichois Christoph Blocher estime que les grandes sociétés cotées en Bourse présentent la même faille que les pays socialistes.

Propos recueillis par Jean-Claude Péclet

Que pensez-vous des conditions offertes par Swissair à Mario Corti?
Christoph Blocher:
Si ce qu’on lit est vrai, c’est irresponsable, une absolue stupidité. Je ne suis pas contre les hautes rémunérations, tant qu’elles récompensent le succès. De là à payer d’avance 12 millions de francs sans aucune garantie en cas de faillite… Je suis persuadé que, si les actionnaires de Swissair avaient connu les conditions du contrat d’engagement, ils s’y seraient opposés.

Votre dernier discours de l’Albisgüetli était largement consacré à ce thème, et vous réclamez aujourd’hui une transparence totale des salaires pour les hauts dirigeants d’entreprise. Pourquoi?
Blocher
: J’ai longtemps hésité. La mauvaise gestion et l’incompétence de certaines élites économiques ont pris de telles proportions qu’elles ne nuisent plus uniquement à leur entreprise, mais à l’économie suisse. Ces pseudo-élites doivent être identifiées et remplacées rapidement. Quand j’entends le président du Parti radical déclarer au parlement qu’il faut payer 2 milliards de recettes fiscales pour sauver une compagnie nationale car un refus “provoquerait une perte de confiance dans l’élite économique et politique de ce pays”, je trouve cette raison d’Etat étrange.

Justement, ne réglez-vous pas des comptes politiques avec les radicaux?
Blocher
: Non, c’est un problème de fond. Les grandes sociétés cotées en Bourse présentent exactement le même défaut que les Etats socialistes. Elles sont la propriété collective de milliers d’actionnaires actuellement impuissants à faire valoir leurs droits. Or protéger la propriété privée est un devoir de l’Etat. Pour rétablir la confiance, ce dernier doit rendre obligatoire un système de rémunération rigoureux et transparent, dont les principes seront approuvés par l’assemblée générale des actionnaires. Notamment, les salaires des dirigeants d’entreprises cotées en Bourse doivent être publiés dans le rapport annuel.

De façon globale pour chaque organe dirigeant, comme le prévoit une nouvelle directive de la Bourse suisse?
Blocher
: Non, de façon individualisée. Il faut donner les noms, pas seulement le montant global. Et la rémunération doit être clairement liée à des objectifs chiffrés fixés dans le temps. Ces règles doivent être connues et approuvées avant la signature de tout contrat d’engagement. Depuis que je m’intéresse à la question, j’ai découvert des systèmes très raffinés pour camoufler la rémunération des responsables.

Par exemple?
Blocher
: Si la loi oblige à publier les cinq plus gros salaires, certaines entreprises s’arrangent pour que cinq chercheurs – par exemple – déclarent les plus hauts salaires tandis que les dirigeants reçoivent des rémunérations indirectes supérieures.

Au fait, quel est votre salaire?
Blocher
: Il est de 350 000 francs par an. Mais mentionner cette somme hors contexte n’est pas équitable vis-à-vis du chiffre articulé pour Mario Corti. Je possède 70% des actions de ma société et profite donc de sa plus-value.

Rémunérez-vous vos cadres dirigeants en actions?
Blocher
: Nous n’avons pas ce système qui n’est pas sans danger, comme l’a montré le scandale Enron. Nos dirigeants ont des salaires situés plutôt dans le bas de la fourchette, autour de 200 000 francs par an, mais, s’ils travaillent bien et qu’il y a des bénéfices, leur rémunération peut atteindre le million.

Une motion socialiste demande déjà une modification de la loi dans le sens que vous désirez. Quelle va être votre intervention au parlement?
Blocher
: Je n’ai pas encore déterminé le meilleur moyen d’atteindre l’objectif. J’envisage quelque chose ce printemps.

 

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