On est conseiller national depuis le jour où on est élu, et c’est tout

Interview, Le Matin Dimanche, 29 avril 2012, Sonia Arnal

Auditionné par la Commission de l’immunité du Conseil national, Christoph Blocher n’est protégé par son statut que pour les faits survenus après sa prestation de serment du 5 décembre. Or c’est le 3 décembre qu’il a reçu chez lui l’employé de la banque Sarasin, qui a servi d’informateur dans l’affaire Hildebrand.
Vous avez l’habitude d’être dans l’adversité, mais on vous sent touché par cette décision…
Je ne suis pas blessé. Cela me donnera beaucoup de travail. Mais un procès pourrait être l’occasion d’établir publiquement que je n’ai rien fait de condamnable et se révéler un atout. Au-delà de ça, il est plus important que nous n’ayons plus à la présidence de la BNS une personne qui faisait des transactions financières privées, contre les intérêts de notre pays.

Si ça n’est pas important, pourquoi vous êtes-vous battu mercredi pour que votre immunité soit applicable dès votre élection, et couvre donc les événements survenus chez vous le 3 décembre, avant que vous ayez prêté serment?
Un parlementaire ne peut pas renoncer à son immunité, même à sa demande. Le 3 décembre, j’étais un conseiller national, élu comme les autres le 23 octobre. J’étais donc un membre du Parlement et c’est pour cette raison que les deux informateurs m’ont choisi. Ils m’ont informé que le président de la Banque nationale spéculait! Pour moi, c’était incroyable. En tant que parlementaire, j’ai deux devoirs. Légiférer – ça, franchement, ça n’est pas la partie que je préfère, parce que je n’aime pas beaucoup faire des nouvelles lois, je préférerais moins de réglementations. Et deuxièmement, être le garant du bon fonctionnement des institutions et de la qualité du travail de ceux qui les dirigent, y compris ceux à la tête de la BNS. Je ne me bats pas pour avoir des privilèges que les autres citoyens n’ont pas, mais pour défendre le principe de l’immunité comme outil indispensable à l’accomplissement de notre tâche à tous. Si vous n’êtes pas protégé en tant que parlementaire, que vous risquez une condamnation pénale chaque fois que vous dénoncez un dysfonctionnement, le danger est grand que vous ayez peur et ne fassiez plus votre travail.

Jean Ziegler a pris votre défense. Ça ne vous fait pas bizarre de vous retrouver dans le camp d’un politicien très marqué à gauche?
Politiquement, nous n’avons pas du tout les mêmes idées, c’est certain! Mais en ce qui concerne le travail d’un membre du Parlement nous n’avons pas de différences. Moi, je peux affronter un procès pénal long et coûteux, mais pour un conseiller national qui n’a pas les moyens, il y a de grandes conséquences. Ce qui nous réunit, M. Ziegler et moi, c’est la défense de cette institution afin que chaque parlementaire puisse dénoncer les problèmes sans crainte. Ce n’est pas une question d’opinion politique, c’est vraiment une question de principe.

Vous qui détestez les institutions et passez votre temps à les attaquer, vous vous en faites soudain le champion?
Alors, attention, là! Je n’attaque pas les institutions, je les défends et je m’en prends à ceux qui les dirigent quand ils font mal leur travail. J’ai beaucoup de respect pour nos institutions et c’est justement pour cela que je veux qu’elles fonctionnent bien. Ce n’était pas le cas, par exemple, avec l’ex-procureur de la Confédération M. Roschacher, et je l’ai dit. Il y avait un soupçon d’un conflit d’intérêts entre les transactions financières effectuées par M. Hildebrand à titre privé et ses responsabilités à la BNS, et je l’ai dit aussi.

Concrètement vous n’avez jamais aimé M. Hildebrand. Vous l’avez beaucoup critiqué et avant cette affaire, cela faisait déjà des mois que la «Weltwoche» lançait des campagnes de dénigrement…
Mais la Weltwoche, ce n’est pas moi!

Ah non?
C’est évident. La Weltwoche est un bon hebdomadaire, dirigé par des gens indépendants d’esprit, pas comme la plupart des autres médias. Parfois, ils n’ont pas peur de quelques idées de l’UDC…

A titre personnel, vous n’avez jamais beaucoup aimé M. Hildebrand?
Il venait de la gestion des hedge funds, ce qui ne répond pas aux exigences de la BNS. C’est vrai aussi que j’ai critiqué certaines de ses décisions, par exemple l’achat d’euros pour 100 milliards quand le cours du franc face à l’euro était d’environ 1 fr. 45. Le peuple suisse a perdu beaucoup de milliards sur cette action. Mais j’ai soutenu sa décision de fixer un cours plancher de 1 fr. 20 pour un euro. C’était un choix risqué. La Suisse l’a fait seulement deux fois, en 1936 et 1978. Dans des moments de crise, il faut parfois prendre ce risque, pour autant qu’il soit limité dans le temps.

Donc ça n’est pas un hasard si c’est vous qui avez obtenu et diffusé des informations sur ses transactions…
J’ai été informé parce que j’étais conseiller national, mais je n’ai rien diffusé. Si vous parlez des documents publiés par la Weltwoche, ce n’est pas moi qui les leur ai donnés.

Non?
Non, un de mes informateurs, Hermann Lei, a déclaré publiquement que lui avait informé la Weltwoche. Il est honnête et courageux!

Mais c’est vous qui avez organisé cette fuite et qui lui avez soufflé l’idée de faire publier ces documents, en voyant que Micheline Calmy-Rey et les autres membres du Conseil fédéral ne réagissaient pas comme vous l’espériez.
Je n’ai rien organisé, ni fait publier. Mme Calmy-Rey a bien réagi. Mais malheureusement le conseil de banque de la BNS et le Conseil fédéral ont d’abord protégé les spéculations de M. Hildebrand. C’est pour cette raison que les informateurs ont informé la Weltwoche. Et quatre jours plus tard Hildebrand était forcé de démissionner. La commission ne lève pas mon immunité pour cet épisode lié à la Weltwoche: c’est bien qu’il n’y a rien à en tirer…

Vous insinuez que la commission ne fait pas preuve d’objectivitéet maintient ou lève votre immunité quand ça l’arrange?
Tout est politique, ne soyons pas naïfs! Cette histoire d’être en fonction seulement après avoir prêté serment ne correspond pas à la réalité et aux faits. C’est vraiment absurde, puisque nous avons, par exemple, reçu un salaire pour deux jours de travail avant la prestation de serment, émoluments versés pour la préparation de la session. Expliquez-moi comment vous pouvez recevoir un salaire pour une charge que vous n’êtes pas encore en train d’exercer! C’est parce que vous êtes déjà conseiller national depuis le jour où vous êtes élu, et c’est tout. Il est évident que c’est politique quand on regarde comment ont voté les membres de la commission.

On vous présente comme un grand stratège, mais recevoir deux jours trop tôt Hermann Lei et l’informaticien de la banque Sarrasin qui disposait des informations, ça n’était pas très finement joué, non?
Hermann Lei m’a appelé et dit qu’il avait une information importante, en rapport avec mon mandat de conseiller national. Il croyait que le président de la BNS était un spéculateur. Vu que la session était imminente et que je n’aurais pas eu de temps pendant la session, je l’ai reçu le 3 décembre déjà. A ma grande surprise, il était accompagné d’un autre homme qu’il m’a présenté comme un ami et employé de banque. Herrmann Lei m’a expliqué qu’il avait confiance en moi et qu’il était convaincu que j’étais un parlementaire qui pouvait agir.

Vous voulez dire que vos collègues, les autres conseillers nationaux, ne font pas leur travail?
Dans les affaires délicates comme celle-ci, on préfère s’adresser à des gens qu’on connaît. Je connais Hermann Lei comme membre de l’UDC et je connais aussi son père qui était conseiller d’Etat (un radical). Et je suis connu pour mon indépendance, pour ne pas craindre l’opinion des autres ou les pressions.

Donc vous êtes un héros de la Nation injustement poursuivi par un procureur et une commission parlementaire – le martyr qui se sacrifie, c’est un rôle qui vous plaît bien, non?
Pour être héros, il faudrait que je sois de gauche. Si j’étais socialiste, j’aurais sûrement déjà eu droit à ma statue… Et je ne suis pas un martyr, je savais très bien ce que je faisais. Mais c’est vrai: je n’avais pas imaginé la réaction de l’establishment. Par exemple, quelques banquiers, notamment genevois, qui étaient amis de M. Hildebrand m’ont attaqué et voulaient qu’on le «laisse en paix». Ça a pris du temps, mais maintenant la plupart des gens responsables pensent qu’il était nécessaire d’agir, pour le bien de la BNS et de la Suisse.

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