Pour moi, le Conseil fédéral serait une punition

Interview dans «l’Illustré» du 08 octobre 2003

Interview: Marie-Christine Pasche

Pour la première fois, l’UDC a organisé un rassemblement national à Montreux, en Suisse romande. Avez-vous apprécié cette nouveauté ?
Christoph Blocher: Oui bien sûr, même si la langue représente un handicap. Comme je parle sans texte écrit, je dois réfléchir aux idées à développer, plus au français, c’est difficile. Mais ce qui m’a surtout frappé, c’est le changement politique intervenu ces dernières années. En 1992, lors du vote sur l’Espace économique européen, on me diabolisait ! Aujourd’hui, même dans la rue, les gens me saluent, m’adressent la parole.

Vous sentez-vous plus à l’aise ?
Christoph Blocher: Surtout mieux accueilli. Les chauffeurs de taxi par exemple, me reconnaissent, me disent qu’ils aiment l’UDC. Le climat a beaucoup changé.

A quoi l’attribuez-vous ?
Christoph Blocher: Plusieurs facteurs expliquent cette évolution positive. Premièrement, lorsque la presse et les politiciens adverses exagèrent – et en 1992, c’était vraiment affreux – la population finit par s’en apercevoir et considérer que je suis un citoyen comme les autres, qui défend ses idées et c’est tout.
Ensuite, après tous les discours de 1992, qui décrivaient l’Union européenne presque comme un paradis sur terre, les gens ont vu ce qui s’est passé. La Suisse n’a pas rencontré les problèmes prévus par les partisans. En revanche, ils constatent, onze ans plus tard, que l’Union européenne ne fonctionne pas bien. En plus, la Suisse romande doit vivre avec les conséquences des abus sur l’asile. A Genève, c’est même pire qu’à Zurich, car les Africains francophones préfèrent s’installer là où on parle français. Pour toutes ces raisons, les Romands commencent à bouger. En face, les autres partis sont affaiblis. Lorsqu’ils se sentent attaqués sur leurs positions, ils changent d’avis, surtout les radicaux et les démocrates chrétiens.

Est-ce parce qu’ils ont peur de vous ?
Christoph Blocher: Ils n’ont plus la force de résister aux attaques, de lutter pour leurs idées. Il faut reconnaître qu’ils ne sont pas irréprochables, beaucoup par exemple pratiquent le copinage et présentent donc des points faibles. Lorsque vous les traitez de corrompus, ils sont tout de suite d’accord avec vous. C’est pareil à Zürich avec les radicaux: ils ont privilégié leurs réseaux, le filz comme on dit ici, au lieu des compétences dans de si nombreux dossiers, – Swissair, Rentenanstalt, Crédit Suisse etc – comment voulez-vous qu’ils soient crédibles ? Dans la population, beaucoup pensent que l’UDC lutte encore ouvertement, qu’elle a la force de résister car aussi, elle a moins de copinage à cacher.

Quel score espérez-vous atteindre en Suisse romande aux élections fédérales ?
Christoph Blocher: Si on obtient 10%, ce sera un bon chiffre pour commencer.

Ces dernières années, l’UDC a beaucoup augmenté son succès dans les villes. Cela signifie-t-il que les gens des villes se rapprochent de ceux de la campagne ?
Christoph Blocher: Oui, car ils ne souhaitent pas non plus que la Suisse entre dans l’UE, il en ont assez de payer toujours davantage pour leurs primes-maladie et surtout, ils vivent quotidiennement avec les conséquences des problèmes liés à la politique d’asile. En outre les socialistes, surtout à Zurich, ne sont plus les représentants des employés de l’industrie privée, mais ceux des intellectuels, des employés du tertiaire et surtout, des fonctionnaires. Ils ne sont plus capables de soutenir les personnes qui veulent des entreprises fortes pour donner du travail. Beaucoup d’ouvriers nous ont donc rejoints.

Pensez-vous que votre force est de n’avoir pas dévié dans votre discours depuis 25 ans?
Christoph Blocher: Nous n’avons évidemment pas toujours été confrontés aux mêmes problèmes. Mais les positions fondamentales sont restées les mêmes: défendre la souveraineté et la neutralité de la Suisse.

Sans oublier la politique envers les étrangers ?

Christoph Blocher: Nous la dénonçons depuis déjà 15 ans, surtout les abus de l’asile et la présence de clandestins. Nous n’avons rien contre les étrangers qui vivent en Suisse avec un contrat de travail et un permis.

Vraiment ? N’étiez-vous pas opposé à la libre circulation des personnes au sein de l’UE, qui ne concerne justement que les étrangers avec un contrat de travail ?

Christoph Blocher: J’aurais préféré que l’on garde l’ancien système d’octroi de permis. Nous ne nous sommes jamais opposés à la venue de travailleurs dont le pays a besoin. Mais avec la libre circulation des personnes je suis sûr que le chômage augmente.

N’engagez-vous pas d’Européens dans votre entreprise ?

Christoph Blocher: Si bien sûr, lorsque trois personnes se présentent pour un poste de chimiste, le chef engagera le meilleur au salaire le plus intéressant, quelle que soit sa nationalité, c’est clair ! On est d’ailleurs obligés d’agir de cette façon puisque la concurrence le fait.
Cela dit, le problème le plus grave est posé par les criminels, les trafiquants, et aussi tous ceux qui entrent illégalement en Suisse, et travaillent au noir.

Mais alors que diriez-vous aux patrons suisses qui les emploient ?
Christoph Blocher: Certes certains employeurs leur donnent du travail. Mais puisqu’ils sont de toute manière ici, on peut aussi considérer que ce n’est pas bon qu’ils restent inoccupés.

La question centrale est donc pour vous de ne pas les laisser entrer dans le pays.

Christoph Blocher: Oui, la première mesure est d’effectuer un vrai contrôle aux frontières. Voyez l’Autriche: depuis 13 ans, on ne peut traverser la frontière sud que par les routes, le reste du territoire est fermé. Nous devons aussi faire respecter les accords qui stipulent qu’un requérant doit rester dans le pays tiers qu’il a traversé, où il n’est pas menacé.

Au lieu d’établir de nouvelles règles, comme vous le proposez dans votre nouvelle initiative sur l’asile, ne serait-il pas suffisant d’appliquer les lois existantes ?
Christoph Blocher: Plus ou moins. Je crois qu’il est absolument indispensable d’imiter l’Allemagne, qui a réduit de moitié le soutien financier aux immigrants. Cela permettrait de réduire l’attractivité de notre pays.

Et pour résoudre ces questions liées à l’asile, ne pensez-vous pas qu’il serait plus efficace de collaborer avec l’UE ?

Christoph Blocher: Je n’ai rien contre une collaboration qu’on peut d’ailleurs avoir aujourd’hui. Si la Suisse veut signer l’accord de Dublin sur l’asile, si cela ne va pas plus loin qu’une coordination renforcée entre Etats, je ne m’y opposerai pas. Mais attention, ce n’est pas Schengen, qui signifierait la disparition de tout contrôle à la frontière !

En tant que chef d’entreprise, ne partagez-vous pas l’idée que notre croissance stagne depuis quelques années car la Suisse n’est pas membre de l’UE ?
Christoph Blocher: Non, non il y a d’autres raisons. La première c’est que la Suisse a augmenté les dépenses publiques ces derniers dix ans plus que tous les autres pays industriels au monde. On le sait, l’Etat retire beaucoup d’argent aux entreprises et aux privés par le biais de l’impôt, donc chacun a moins pour consommer.

Même comme ça, la dette publique est gigantesque, alors comment faire ?
Christoph Blocher: Les deux phénomènes sont liés car lorsqu’on a trop d’argent, on a tendance à le dépenser sans trop y regarder et on en fait des bêtises. J’en veux pour preuve les 2 milliards et demi pour Swiss. Autre exemple, le tourisme. C’est idiot d’avoir distribué de l’argent public à ce secteur. Ainsi on soutient les faibles, ceux qui n’ont pas de succès et du même coup on désavantage les entreprises fortes qui conduisent bien leurs affaires. Résultat, ces dernières s’affaiblissent à leur tour.
On peut évoquer mille domaines où Berne a dilapidé l’argent public comme Expo 02, les 100 millions destinés à connecter les écoles à Internet ou l’aide à la création de crèches et de garderies, alors que c’est un devoir des cantons et des communes.

A quoi ressemble votre Suisse idéale ? Une Suisse toute seule, qui arrive à se battre avec le monde entier ?
Christoph Blocher: Pour moi c’est tout simple. Il faut conserver la recette qui a fait notre succès. Rester un état souverain qui veut décider seul de son destin, mais aussi entretenir de bonnes relations avec tous les pays du monde, qui sont plus ou moins nos amis. Pour garder notre pouvoir de décision, nous ne voulons entrer dans aucune grande organisation internationale et nous tenons à rester neutres.

Ne pensez-vous pas qu’un jour, nos partenaires en auront assez de ce petit pays qui veut les avantages et jamais les inconvénients de ces relations avec l’extérieur ?

Christoph Blocher: Non, je n’ai pas peur de ça, d’abord parce qu’ils ont aussi besoin de nous. La Suisse est tout de même le deuxième client de l’UE, et un client qui a les moyens de payer ce qu’il achète, contrairement à beaucoup d’autres ! Depuis 700 ans, lorsque nous avons un conflit avec un autre pays, nous négocions un arrangement. Continuons, sans jamais donner la compétence à qui que ce soit de décider à notre place.

N’avez-vous pas l’impression qu’à l’UDC tout repose sur votre personne ?
Christoph Blocher: Peut-être il y a dix ans mais plus aujourd’hui. Nous pouvons compter sur une relève intelligente et très engagée.

Vous voyez donc arriver votre retraite avec sérénité ?

Christoph Blocher: Elle n’est pas encore fixée mais ce ne sont pas mes dernières élections fédérales.

Etes-vous tenté par le Conseil fédéral ?

Christoph Blocher: J’ai toujours dit qu’on ne peut pas s’opposer fortement à la politique gouvernementale pendant des années et refuser d’y travailler le jour où on vous le demande.

Etes-vous conscient que vous ne pourrez plus parler, critiquer avec la même liberté ?
Christoph Blocher: Bien sûr, mon influence est bien plus importante en-dehors du Conseil fédéral. Mais on ne peut pas toujours faire de l’opposition et dire non lorsqu’on vient vous chercher. En fait je ne crois pas que ce sera le cas. Vous savez, pour moi, le Conseil fédéral serait une punition car je ne suis pas un homme d’administration. Je préfère le travail dans le terrain, lancer des idées et en débattre.

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