Discours du 1er août 2013

Résistance au lieu d’alignement

par Christoph Blocher,
conseiller national et ancien conseiller fédéral

  •  31.7.2013, 20.15 heures, Salmsach (TG)
    ·    01.8.2013, 10.30 heures, Altstätten (SG)
    ·    01.8.2013, 16.30 heures, Flumserberg (SG)
    ·    01.8.2013, 20.00 heures, Berg am Irchel (ZH)

Salutation des Confédérés

Comment la Suisse fête-t-elle son anniversaire?

Dans la bonne tradition suisse, c’est-à-dire

–    modestement
–    dans un petit cadre
–    dans de nombreux quartiers et communes
–    avec au cœur de la manifestation un discours de fête
–    en chantant ensemble l’hymne national
–    dans la joie et la reconnaissance
–    en application du principe de subsidiarité.

Une fête centrale, étatique et pompeuse avec des interventions du gouvernement serait contraire aux us et coutumes suisses. L’autorité suprême de la Suisse n’est en effet ni le gouvernement, ni le Parlement, mais ce sont les citoyens, et il faut que cela reste ainsi.

Ces fêtes d’anniversaire confirment à chaque fois que la Suisse s’est faite d’en bas. Cet « en bas » est au cœur de la Suisse. Ce qui, dans d’autres pays, est en bas, est en haut en Suisse: le peuple est le souverain.

Chaque citoyen individuel compte, puis la famille, ensuite la commune et le canton. Ce qui importe, ce ne sont pas le gouvernement central, la classe politique, l’esbroufe, les démonstrations de force. Chaque fête locale est représentative de la fête nationale dans tout le pays.

Dans une démocratie directe, le citoyen a voix au chapitre et il est supérieur aux élus politiques.
Le fédéralisme s’oppose à une funeste centralisation.

Bien que ces principes élevés soient aujourd’hui de plus en plus éludés par la classe politique, ils restent les piliers porteurs de notre pays.

Soyez vigilants également au plus bas niveau de la hiérarchie étatique: battez-vous contre des fusions de communes qui ne sont autre chose que la tentative des bureaucrates de faire taire les petites communes.

Pourquoi fêtons-nous 1291?

La date de la naissance d’un pays ne peut pas toujours être définie avec précision. Un constat qui vaut notamment pour la Suisse. Ce pays n’est pas né d’un acte de fondation décrété par une autorité. On a choisi l’an 1291 parce qu’un événement essentiel à la fondation de la Confédération suisse a eu lieu cette année-là. De quoi s’agit-il?

En cet été politiquement trouble de l’année 1291, à une époque où, après la mort du roi Rodolphe I, plusieurs souverains européens tentaient d’accaparer des territoires, notamment celui de la Suisse primitive, un acte libératoire déterminant s’est déroulé au début du mois d’août (le jour exact n’est pas connu): les trois vallées de la Suisse primitive – Uri, Schwyz et Unterwald – ont conclu une nouvelle alliance qui est stipulée dans le Pacte fédéral de 1291. Les alliés s’appelaient à l’époque déjà Confédérés parce qu’ils avaient prêté serment pour l’éternité. L’objet de leur serment n’était pas un long et savant document, beaucoup s’en faut!

  • Le Pacte fédéral de 1291 est un parchemin haut de 25 cm et large de 32 cm.
  • Ces hommes courageux, sans doute les chefs des trois vallées, ne sachant ni lire, ni écrire, ont demandé le concours d’un homme d’église qui a écrit le Pacte fédéral en latin.
  • Ce document commence par les mots « Au nom du Seigneur Amen » (aujourd’hui encore, la Constitution fédérale débute par un appel « Au nom de Dieux Tout-Puissant »).
  • Et le Pacte relève « Considérant la malice des temps… ».

Qu’ont-ils juré?

  • De ne plus jamais tolérer une autorité étrangère.
  • De ne plus accepter des juges étrangers.
  • D’exiger de l’autorité des qualités de caractère élevées. Les juges doivent être incorruptibles et ne servir que le bien des citoyens.
  • Autodétermination et non pas soumission à l’étranger.
  • Les baillis fiscaux étrangers sont rejetés.
  • La responsabilité individuelle est admise.
  • Personne ne doit violer l’ordre et la tranquillité.

Beaucoup de passages ont été repris de pactes précédents (Pacte fédéral de 1273). Il s’agit donc d’une confirmation, mais pas seulement: « En fait, la nouveauté ne réside qu’en une seule disposition, mais particulièrement importante: les Confédérés refusent – et ils l’affirment en des termes d’une vigueur étonnante – d’accepter ou de reconnaître dans leurs vallées un juge qui a obtenu sa fonction à un prix quelconque, pour de l’argent ou d’une autre manière ou qui ne serait pas un habitant des vallées ou un compatriote. Tous ces accords conclus ‘dans l’intérêt et au profit de tous, doivent, si Dieu y consent, durer à perpétuité’, lit-on à la fin du document. » (trad.; Gottfried Guggenbühl, Geschichte der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 1947?, vol. 1, p. 90.

Mesdames et Messieurs,

En ce 722e anniversaire de la Confédération, les Suisses ne ressentent pas seulement le poids, mais aussi l’actualité de ces mots. Il s’agit d’une confirmation de l’idée libérale qui marque notre propre histoire!

Cet acte de naissance s’opposait expressément – et c’est ce qui fait toute son actualité politique – à toute intervention étrangère. A cette époque, on se défendait contre les Habsbourg et, au cours de son histoire, la Confédération a dû se défendre à plusieurs reprises contre des puissances européennes. Et aujourd’hui?

Aujourd’hui, Mesdames et Messieurs, il s’agit exactement de la même chose. Mais ce n’est pas une raison pour nous résigner.

« Considérant la malice des temps »

Des « malices des temps », la Suisse en a dû affronter plusieurs durant les 722 ans de son histoire. Le plus souvent, parce que ses « gouvernants » ont échoué. Et, malheureusement, nous devons constater aujourd’hui qu' »il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Où donc est notre administration fédérale, où est notre gouvernement, où est la majorité des parlementaires?

Les citoyens inquiets se demandent aujourd’hui ce que l’avenir leur réserve. La Suisse aura-t-elle la force de résister?

  • Grâce à sa constitution libérale, indépendante et intelligemment conçue, la Suisse se porte mieux que d’autres pays. Mais la jalousie, la cupidité et les velléités impérialistes d’Etats étrangers ne cessent de se renforcer: les Etats-Unis menacent, la France lance des ultimatums, l’Allemagne se contente de l’impôt libératoire, l’UE veut de l’argent, de l’argent et encore de l’argent… Rien de nouveau sous le soleil, là non plus.

Bref:

  • Comme en 1291, les grandes puissances actuelles tentent de restreindre l’indépendance de la Suisse.
  • Et la Suisse? Je vois surtout une classe politique peureuse et prête à céder sur tout.
  • Alignement au lieu de résistance », voilà qui semble malheureusement la devise désastreuse des autorités politiques suisses d’aujourd’hui.
  • Jusqu’ici, la Suisse a toujours réussi à s’imposer et à défendre sa liberté en se référant au Pacte fédéral. Nous en sommes reconnaissants à nos ancêtres. Mais qu’en sera-t-il  l’avenir?

Souvenons-nous: c’est la résistance et non l’alignement qui a rendu fort notre pays!

Nous le savons bien: trop souvent dans l’histoire de la Suisse, l’autorité, censée défendre la liberté, l’indépendance et le cas particulier suisse, n’était pas prête à s’engager pour le pays.

Il en est malheureusement de même aujourd’hui.
Disons-le ouvertement: l’administration fédérale, le gouvernement et la majorité du Parlement ne sont pas prêts à défendre courageusement l’indépendance, la liberté, les droits démocratiques, l’autodétermination et la neutralité de leur pays. Ils cherchent bien plus à éliminer ces valeurs pour intégrer la Suisse dans l’UE. Ils veulent brader cette Suisse âgée de 722 ans!

Il s’agit aujourd’hui de rappeler avec force à ces milieux:
« Mesdames et Messieurs, comme le dit notre Pacte fédéral, nous ne voulons pas de droit étranger, ni de juges étrangers ». Ou, pour citer Schiller, « nous ne voulons pas de juges étrangers. »

Partons donc au combat pour la liberté et la prospérité de ce pays marqué de principes libéraux. Car la situation est grave.

Malgré les termes clairs et nets du Pacte fédéral, malgré les dispositions explicites des Constitutions fédérales de 1848, 1874 et 1999 – donc de la charte aujourd’hui en vigueur, malgré le vote clair des Suissesses et des Suisses il y a vingt ans, où ils ont refusé tant l’EEE que l’UE, la classe politique poursuit ses manœuvres.

Face aux pressions de l’étranger, le principe « Résistance au lieu d’alignement » exprime le premier devoir des autorités. Il est conforme au Pacte fédéral, à la Constitution fédérale et à la volonté du peuple.

Prenons exemple sur les anciens Confédérés: ils ont perdu en 1515 la bataille de Marignan, donc les guerres de Milan. Mais, bien que vaincus, ils ont si bien négocié qu’ils ont reçu tout le Tessin, la Valteline, Chiavenna et Bormio.

Aujourd’hui, Mesdames et Messieurs, vous êtes appelés, en tant que citoyennes et citoyens et chacun individuellement, à veiller au bon ordre.

Comme le disait au 19e siècle déjà l’écrivain Gottfried Keller:
« Aucun gouvernement et aucun bataillon ne peut protéger le droit et la liberté si le citoyen n’est pas capable se poster lui-même devant la porte de sa maison pour voir ce qui se passe » (trad.; « Fähnlein der sieben Aufrechten », 1860).

Le dernier coup porté à la liberté et la prospérité.

De quoi s’agit-il concrètement.

Mesdames et Messieurs, juste avant la pause estivale la Berne fédérale a annoncé qu’elle songeait à répondre au souhait de l’UE d’une « adaptation institutionnelle ». Qu’elle est donc prête à adopter automatiquement le droit UE et à accepter les jugements de la Cour européenne de justice. Vous le voyez bien: le droit suisse remplacé par le droit européen et, pour couronner le tout, des juges étrangers décidant pour la Suisse. Au mépris le plus complet de notre Pacte fédéral, on veut démolir un édifice résistant avec succès depuis 722 ans.

  • Nous sommes confrontés à la question la plus importante pour notre pays: les Suissesses et les Suisses pourront-ils à l’avenir décider eux-mêmes de leur avenir ou seront-ils contraints de se soumettre au droit étranger et aux décisions de juges étrangers?
  • Les conséquences de ces odieux agissements sont faciles à prévoir: si nous reprenons étape par étape le droit UE, la Suisse finira par tomber dans l’escarcelle de l’UE sans que les citoyens n’aient eu leur mot à dire. Et si quelqu’un ose s’opposer au droit UE dans sa vie quotidienne, des juges étrangers veilleront le faire respecter leur droit.
  • C’est également au cours de ces derniers mois que nous avons appris du Tribunal fédéral qu’il placerait désormais systématiquement le droit étranger – qu’on appelle aussi droit international – au-dessus du droit suisse.
  • La malice des temps évoquée dans le Pacte fédéral se répète aujourd’hui: les administrations, les pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif manœuvrent pour évincer un peuple avide de liberté, donc le souverain.

Vous le voyez bien, Mesdames et Messieurs, comment on ose trahir le Pacte fédéral.

Ce serait la fin de la liberté, de l’indépendance et de la prospérité économique.

Nous ne nous sommes pas battus depuis 1291 contre des juges étrangers pour accepter qu’aujourd’hui ce Pacte fédéral conclu pour l’éternité soit déclaré sans effet moyennant quelques combines juridiques!

Non, cet anniversaire, le 722e, doit nous inciter à nous lancer dans la bataille pour la liberté, contre l’autorité étrangère et contre des juges étrangers.

Les Habsbourg ont envoyé leurs baillis dans les cantons fondateurs. Les Suisses ont su se défendre avec succès contre eux.

Aujourd’hui, ces mêmes baillis siègent malheureusement dans les bureaux de nos administrations. Il est grand temps que nous autres citoyennes et citoyens nous nous défendions contre eux.

On veut éliminer la démocratie directe en lui superposant le droit international dont on vante la grandeur morale auprès d’un peuple que l’on croit stupide.

C’est un défi lancé au souverain. Il devra se rendre aux urnes l’année prochaine pour mettre fin aux agissements condamnables de ses autorités.


Comment se présente l' »attaquant » de la Suisse?

Mesdames et Messieurs,
Nous sommes pris dans une guerre économique. Voilà la « malice de notre temps ». Vous avez bien entendu: il s’agit d’une guerre économique. Nous devons donc nous préparer à y faire face.

Et comme il y a beaucoup à prendre en Suisse, ce pays est au cœur des attaques. Comment se présente cet « attaquant » de la Suisse?

Comment les Américains analysent-ils la Suisse?

Des milieux américains bienveillants à l’égard de la Suisse se demandent avec inquiétude: « Que sont donc devenus les courageux Suisses? Autrefois nous vous admirions pour votre fermeté et votre intransigeance et aujourd’hui vous cédez avant même que commencent les négociations. »

Je vous invite aussi à lire le rapport de politique financière du Sénat français (1) bien qu’il existe des lectures plus passionnantes que ce pensum de 745 pages.

Un passage pourtant nous intéresse, car il donne une idée de la manière dont la France juge la classe politique suisse. La Suisse y est décrite comme très sensible aux pressions politiques extérieures. On affirme qu’elle cède très vite lorsque de telles pressions s’exercent sur elles.

Voici ce qui est écrit textuellement dans ce rapport:
« … en lisant régulièrement la presse helvétique, on constate d’ailleurs que la classe politique suisse est relativement fragile: lorsqu’on passe à l’offensive, elle a tendance à accorder des concessions et il faut continuer à mettre la pression sur ce territoire. » (2)

Cela doit changer!!

Seul un non sec et sonnant à la reprise du droit étranger et aux juges étrangers permet de corriger ce cap désastreux!

Perspective

Mesdames et Messieurs,

Au cours de sa longue histoire, la Suisse s’est souvent écartée du droit chemin, mais à chaque fois – et c’est ce qui est extraordinaire – des citoyennes et des citoyens ont su corriger les errements de leurs autorités. Par exemple, il y a vingt ans avec le refus convaincu de l’adhésion à l’EEE et à l’UE. Et tout cela grâce à une Constitution efficace qui, conformément aux principes de la démocratie directe, donne aux citoyennes et aux citoyens les moyens de défendre l’indépendance, la neutralité permanente et armée et le fédéralisme.

Ces valeurs semblent oubliées à notre époque marquée par la mégalomanie et les vains bavardages de globalisation.

Les citoyens doivent se défendre contre ce développement. Nous devons combattre dans l’urne l’accord-cadre avec l’UE qui impose à la Suisse le droit et des juges étrangers pour la pousser finalement dans l’UE!

Je suis persuadé que nous parviendrons à conserver nos valeurs traditionnelles issues du Pacte fédéral. Nonobstant les errements de nos autorités!

Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons fêter librement et avec reconnaissance les prochains anniversaires.

Mesdames et Messieurs, je suis confiant. Je constate en effet que les citoyennes et citoyens commencent à voir clair. Jamais encore aussi peu de gens n’étaient favorables à l’adhésion à l’UE, jamais encore la neutralité n’était aussi appréciée. Seuls les élus politiques de la Berne fédérale n’ont toujours rien compris.

Observez et écoutez le monde et vous comprendrez combien Jakob Burkhardt avait raison:
« Ce petit Etat existe et avec lui un morceau du monde où une proportion maximale de ressortissants sont des citoyens dans le plein sens du terme… Car le petit Etat n’a strictement rien d’autre que la véritable liberté pour lui permettre de contrebalancer largement les immenses avantages du grand Etat et son idéal de puissance. »

Ou tenons-nous en à Gottfried Keller:

« Aucun gouvernement et aucun bataillon ne peut protéger le droit et la liberté si le citoyen n’est pas capable se poster lui-même devant la porte de sa maison pour voir ce qui se passe » (trad.; « Fähnlein der sieben Aufrechten », 1860).

Les Suisses le feront!

En comptant sur la force des simples citoyennes et citoyens, nous pourrons continuer de fêter en toute modestie les futurs anniversaires de notre petit Etat suisse.

Confiant dans cette grande force intérieure du peuple, je vous souhaite à toutes et à tous un joyeux anniversaire!

(1) http://www.senat.fr/rap/r11-673-2/r11-673-2.html
(2) http://www.senat.fr/rap/r11-673-2/r11-673-2.html

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