Couchepin se trompe de cible

Le ténor de l’UDC part en campagne contre les plans du « roi » de la Confédération sur les assurances sociales. Le milliardaire zurichois refuse qu’on touche à l’AVS et fustige les abus dans les rentes invalidité.


Interview dans « Le Matin » du 15 juin 2003

Interview: Ludovic Rocchi et Michel Zendali

La semaine dernière, vous étiez malade. Vous allez mieux?

Blocher: J’ai eu une petite infection de l’intestin. J’étais un peu fiévreux. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, mais je vais bien. N’en déplaise à mes adversaires, qui ne demanderaient pas mieux que de me voir disparaître, au moins de la scène politique…

Ces derniers mois, ce n’est plus vous qui faites l’agenda politique, mais plutôt Pascal Couchepin…

Blocher: Pourquoi se plaindre si le Conseil fédéral commence à faire le calendrier politique? Mais Couchepin n’a pas encore fait grand-chose. Il philosophe beaucoup; il nous dit ce qu’il faudrait faire en 2015, en 2025. On dirait qu’il n’a pas envie de s’occuper des problèmes que nous devons résoudre aujourd’hui.

On dit de lui qu’il se prend pour un roi…

Blocher: En Suisse, les rois ne survivent pas longtemps… Couchepin n’a pas tort de réfléchir à l’avenir des assurances sociales, mais il a décidé avant de penser. Elever l’âge de la retraite, diminuer les rentes ne sont qu’une partie des solutions possibles. Il y en a beaucoup d’autres, et nous avons le temps de mettre toutes les variantes sur la table, ce que Couchepin n’a pas fait.

Aujourd’hui, vous dites « pas touche à l’AVS ». Mais, il y a quatre ans, c’est vous qui lanciez l’idée de travailler jusqu’à 67 ans et plus. Contradictoire non?

Blocher: Pas du tout, j’ai toujours dit que jusqu’en 2015 au moins, il n’y a aucune nécessité d’augmenter l’âge de la retraite, ni de diminuer les rentes, ni d’augmenter la
TVA. A une seule condition: que l’on vende l’or superflu de la Banque nationale l’année prochaine et que l’augmentation déjà décidée de la TVA en 1998 revienne intégralement à l’AVS. De cette manière, le premier pilier est financé. En 2010, on pourra alors décider de la suite, car l’AVS n’est pas vraiment le problème le plus urgent.

Et quel est-il, alors?

Blocher: C’est le problème de l’assurance invalidité, qui est dans un état autrement plus grave parce qu’il y a beaucoup d’abus, de cas de pseudo-invalidité. Toujours plus de gens ont des problèmes psychiques, y compris chez les jeunes, qui préfèrent encaisser une rente plutôt que de travailler. Et puis il y a les entreprises qui, quand elles n’ont plus besoin de leurs travailleurs, les mettent à l’invalidité avec la complicité des médecins et parfois d’avocats. Il est intéressant de voir que c’est à Bâle ,là où il y a le plus de médecins, qu’il y aussi le plus de gens à l’assurance invalidité…

A votre avis, les médecins sont trop complaisants?

Blocher: Je ne conteste pas qu’il y ait des gens qui soient de vrais invalides. Mais, de 1990 à 2000, on est passé de 4 à 10 milliards de francs de dépenses pour l’assurance invalidité. Et cela augmente de 5 à 8% par an. A l’évidence, il y a des abus, ce que j’appelle du copinage social, car ce phénomène ne peut pas être dû seulement à l’augmentation de la pénibilité du travail. Ce sont plutôt les loisirs qui sont devenus dangereux.

Pascal Couchepin se trompe donc de cible?

Blocher: Bien sûr. Il faut s’attaquer sans attendre au problème des pseudo-invalides. Et puis Couchepin nous dit qu’il faudra peut-être travailler jusqu’à 67 ans, mais lui, le président, « le roi », comme vous dites, ne remarque même pas qu’à la Confédération les fonctionnaires travaillent en moyenne jusqu’à 61 ans. Or c’est l’Etat, c’est-à-dire nos impôts, qui paient ces retraites anticipées. Elles rongent le deuxième pilier, tout comme les rentes invalidité, d’ailleurs.

N’empêche que la Suisse affronte un grave déficit démographique, et voilà que vous vous apprêtez à lancer un référendum contre l’assurance maternité…

Blocher: On compte 1% d’augmentation de la TVA pour l’AVS, 0,8% pour l’assurance invalidité, et, maintenant, une assurance maternité à 500 millions. Tout cela fera presque 5 milliards de prélèvements supplémentaires, des charges pour les entreprises et pour les salariés, qui ne peuvent tout de même pas ne travailler que pour payer les assurances sociales. Cela devient franchement insupportable.

Mais vous savez bien qu’on ne fait plus assez d’enfants en Suisse…

Blocher: Les Suisses ont déjà refusé trois fois une assurance maternité. Si une mère ne fait un enfant que pour encaisser une rente pendant quatorze semaines, il vaut mieux que cet enfant ne vienne pas au monde. Faire ou ne pas faire d’enfants, c’est un
choix personnel. Si une femme tombe dans les difficultés, elle peut trouver de l’aide auprès des services sociaux.

Vous exigez que la Confédération économise 5 milliards par an. Vous voulez tuer l’Etat?

Blocher: Non, l’améliorer. Je l’ai fait dans mon entreprise: qu’on fasse un audit de l’Etat Je prétends que l’administration fédérale pourrait baisser ses dépenses d’au moins 30%. Je pourrais vous donner cent exemples d’économies, tel l’Office suisse d’expansion commerciale (OSEC), inutile, tout comme les crédits d’aide à l’hôtellerie, etc. Et c’est un entrepreneur qui vous parle…

Pour l’agriculture aussi, qui coûte plusieurs milliards par an?

Blocher: Absolument. Qu’on donne aux paysans un juste dédommagement pour l’entretien du paysage, et que pour le reste on les laisse faire ce qu’ils veulent sur le marché: du lait, du vin, des poires, peu importe. Il faut laisser les paysans travailler comme des entrepreneurs. Il y a déjà quelques années que la Suisse est sur cette voie, mais sa bureaucratie agricole est encore pléthorique.

Vous voulez relancer une initiative sur l’asile. Décidément, chez vous, c’est obsessionnel?

Blocher: Depuis le rejet très serré de notre initiative contre les abus, en novembre dernier devant le peuple, nous avons attendu que le gouvernement et les partis du centre remplissent leurs promesses, fassent quelque chose. Or cela fait huit mois qu’on glose et qu’il ne se passe rien. Nous allons donc devoir lancer une nouvelle initiative.

C’est surtout un bon coup électoral, non?

Blocher: Disons plutôt que nous sommes conséquents à l’égard de nos électeurs car, sur le terrain, la situation empire. Dans une ville comme Zurich, les dépenses pour l’asile ne cessent d’augmenter. Nous voulons obliger la Confédération à assumer la responsabilité et le financement de l’asile, plutôt que de laisser tout le monde entrer et de déléguer ensuite les renvois aux cantons et aux communes.

Avec quels autres arguments comptez-vous gagner les élections fédérales en Suisse romande?

Blocher: Chez vous aussi, les gens commencent à en avoir assez des dépenses sans fin de l’Etat, comme Swiss ou Expo.02. Ils comprennent que ce n’est pas en assommant les contribuables qu’on va relancer l’économie. Même le refus de l’adhésion à l’Union européenne devient porteur en Suisse romande. C’est d’ailleurs chez vous que nous pouvons gagner le plus d’électeurs, alors qu’à Zurich nous avons fait à peu près le plein.

Deux conseillers fédéraux UDC: estce un but de votre campagne?

Blocher: Ce n’est pas un but, mais un moyen différent de faire de la politique. Actuellement, nous pratiquons les trois quarts d’opposition. Mais les autres partis commencent à nous suivre. S’ils nous accordent un second siège au gouvernement, nous pourrons étendre notre influence à ce niveau. Mais je ne crois pas qu’ils le feront…

Qui devrait s’en aller du Conseil fédéral?

Blocher: Ça m’est égal. Si le PDC confirme son effondrement, il devrait logiquement abandonner un siège. Mais on peut aussi imaginer choisir entre un gouvernement de centre gauche ou de centre droit, selon le maintien ou non des socialistes au pouvoir.

Et quel UDC voudriez-vous voir à la place?

Blocher: Il faudrait évidemment quelqu’un qui soit représentatif de la ligne de notre parti. Je continue de trouver que Samuel Schmid n’est qu’à moitié UDC. Il a, par exemple, argumenté contre notre initiative sur l’asile et nous a sans doute fait perdre les 3000 voix qui manquaient. Il aurait pu se contenter de se taire, pour respecter le principe de collégialité. Mais, sur les questions économiques ou européennes, il est un bon conseiller fédéral.

Serez-vous une nouvelle fois candidat?

Blocher: Je serai à disposition uniquement pour une candidature de combat, comme la dernière fois. Mais si le second siège au Conseil fédéral nous était reconnu par les autres partis, nous aurions suffisamment de volontaires…

Quand prendrez-vous votre retraite?

Blocher: J’ai fixé une date exacte: en 2026! (Réd.: rires.) Comme Eisenhower, j’aurai alors 86 ans…

« Mon vice caché? Je suis politicien… »

Etes-vous toujours insomniaque?

Blocher: Je dors peu, c’est vrai. Napoléon a dit qu’un homme doit dormir quatre heures, une femme cinq, et que seuls les idiots dorment plus de six heures. Je dors donc quatre heures par nuit…

Et toujours milliardaire?

Blocher: Ma fortune, c’est mon entreprise, EMS-Chemie. Le cours de son action a souffert ces derniers mois, et sa valeur boursière est passée de 3,5 milliards à 2,8. Je paie donc un peu moins d’impôts sur la fortune.

Comme votre ami Martin Ebner?

Blocher: Moi, je n’ai pas fait les mêmes erreurs que lui: son groupe avait trop d’engagements et trop de dettes.

Vous l’avez aidé?

Blocher: Surtout pas, je ne lui ai pas prêté un sou. D’ailleurs, il ne m’a rien demandé!

Votre dernière grosse dépense?

Blocher: Deux tableaux de Hodler et d’Anker. Plutôt chers, mais je tairai leur prix…

Où partez-vous en vacances?

Blocher: J’espère aller marcher en montagne, à Mustair, en Engadine, un endroit que
j’aime beaucoup. Pour l’alpinisme, je n’ai, hélas, plus l’âge à ça.

Votre disque du moment?

Blocher: J’approfondis mon écoute de « La Création », de Haydn.

Et un livre?

Blocher: « Un monde caché », de Martin Suter. Une histoire passionnante d’un journaliste qui perd la mémoire à cause de la maladie d’Alzheimer…

Vous ne fumez pas, vous ne buvez pas, avez-vous un vice caché?

Blocher: Je suis politicien…

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