Les Américains aiment qu’on leur résiste

Interview, L’AGEFI, 3 février 2012, Pierre Bessard

Fausses priorités du Gouvernement

Quelle fut votre réaction à l’annonce de la vente de Wegelin?
Que Wegelin préparait une telle solution, à savoir le transfert des clients non américains dans une banque séparée, je le savais depuis un certain temps. Je ne savais pas en revanche que ses activités seraient reprises par Raiffeisen. Mais la systématique a été conçue dans l’éventualité d’un chantage des autorités américaines cherchant à obtenir, en violation du droit suisse, des données de clients sous la menace de ruiner la banque.

Celle-ci a-t-elle réagi de façon excessive?
La menace qui pesait sur elle était extraordinairement dommageable à son activité. C’était une décision de détresse qui était probablement inévitable. C’est pourquoi la scission des activités saines et des activités liées aux Etats-Unis fut finalement décidée, d’autant plus que le soutien politique qui aurait été nécessaire de la part du gouvernement, en faveur de cette banque comme de la place financière dans son ensemble, a fait cruellement défaut.

Qu’aurait pu faire le Conseil fédéral?
Le gouvernement actuel ne négocie pas avec les Etats-Unis comme il le devrait. Les Américains n’apprécient pas qu’on leur cède et affaiblisse sa propre position en permanence. Les Etats-Unis ont leurs intérêts et attendent que les autres défendent les leurs. L’Etat de droit suisse ne permet pas que l’on menace une banque par ultimatum: le gouvernement devait l’expliquer avec tout la patience requise, les Américains n’étant pas réputés pour leur fine connaissance du reste du monde.

La banque n’a-t-elle pas elle-même commis des erreurs?
Peut-être, mais le Conseil fédéral doit également soutenir les entreprises suisses qui ont potentiellement fait des erreurs, ce dont nous n’avons pas la certitude. Nous ne savons pas non plus s’il s’agit effectivement de cas d’évasion fiscale. Selon le droit en vigueur, la banque Wegelin ne peut pas transmettre de données hors du cadre d’une procédure d’entraide administrative approuvée, dans des cas individuels et sur la base d’un soupçon fondé.

Quelle leçon la place financière doit-elle en tirer?
Il me semble que les banques suisses n’ont d’autre choix aujourd’hui que de rompre leurs relations avec les clients américains, du moins jusqu’à ce que la situation légale soit clarifiée. Les risques sont devenus trop élevés. Les Etats-Unis n’agissent plus en Etat de droit, mais en Etat de puissance.

A quoi attribuez-vous leur agressivité?
Les autorités américaines attaquent les banques suisses dans le but de générer davantage d’affaires pour leurs propres banques. Il appartiendrait au Conseil fédéral de faire mention du secret bancaire qui s’applique dans certains Etats fédérés américains: les Américains pratiquent exactement ce qu’ils reprochent aux Suisses. S’ils ne voulaient pas affaiblir la place financière suisse, jamais ne procéderaient-ils de cette manière.

Une stratégie de résistance de la part du Conseil fédéral aurait-elle été crédible vu l’interdépendance des relations?
J’en suis convaincu. Le gouvernement ne l’a même pas contemplée. Il se vante partout de représenter un petit pays, un pays faible… La résistance n’est jamais agréable, elle requiert un effort d’explication et de conviction. Comme homme d’affaires, mais aussi comme conseiller fédéral, j’ai pu constater que si on explique aux Américains son point de vue, si on s’efforce de comprendre le leur, il est toujours possible de parvenir à une solution raisonnable. Mais cela ne peut pas se faire en cédant préventivement sur toute la ligne sans discuter.

D’autres juridictions exigent les mêmes avantages…
Bien sûr, les gouvernements apprennent vite. Si la Suisse cède envers les Etats-Unis, cela ouvre les appétits. L’Union européenne veut le même traitement, l’Inde veut une convention de double imposition aux mêmes conditions, la Russie y songe également. Le Conseil fédéral a orchestré un chaos complet dans le domaine des conventions de double imposition, en prévoyant des dispositions et des interprétations différentes selon chaque pays. Cela ne peut pas fonctionner. Il aurait fallu une loi d’application selon des principes clairs et s’y tenir.

Faut-il dès lors accepter que le secret bancaire soit condamné au niveau international?
Ce n’est pas une fatalité. La distinction dans le droit suisse entre la soustraction fiscale, une infraction de droit administratif, et la fraude fiscale, qui relève du droit pénal, est parfois difficile à faire comprendre. Mais en Suisse, un impôt anticipé très élevé décourage en même temps l’évasion fiscale. C’est une solution similaire d’impôt libératoire que nous aurions dû mettre sur la table depuis longtemps au niveau international. Elle est en train de se concrétiser avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Si les Etats-Unis n’en voulaient pas, ce qui est probable, il aurait fallu avoir la grandeur de se retirer.

Renoncer au marché américain est tout de même cher payé…
Les Etats-Unis ne seront plus l’économie dominante à l’avenir: songez au dollar, à l’endettement, à la déliquescence de l’Etat de droit. Les puissances économiques futures se trouvent en Extrême-Orient. La Chine, par exemple, est très libérale sur le plan économique. Les entreprises exportatrices suisses tournées vers l’avenir déploient aujourd’hui leur activité de Hong Kong, de Shanghai ou de Singapour, pour livrer dans le monde entier.

L’attrait de l’Asie vaut-il aussi pour le secteur bancaire?
Les banques suisses sont très bien positionnées en Asie. Contrairement aux banques américaines, elles inspirent confiance: c’est ce que me confirment régulièrement mes interlocuteurs dans la région. Les banques suisses ne dépendent pas du secret bancaire, mais de leur savoir-faire et de la certitude que les fonds qui y sont déposés s’y trouveront encore des générations plus tard.

Le Conseil fédéral fixe-t-il au moins les bonnes priorités en politique économique?
Je ne comprends pas la lenteur dont fait preuve désormais le Département fédéral de l’économie sur l’accord de libre-échange avec la Chine. Ce serait l’un des atouts les plus importants de l’économie suisse. De plus, le problème de l’agriculture ne se pose pas. Mais le ministre de l’Economie actuel est en route vers la Chine avec le frein à main serré.

La Suisse a également un nouveau ministre des Affaires étrangères…
Oui, je regrette qu’il s’occupe déjà de l’Union européenne, avec laquelle nous disposons d’un accord de libre-échange depuis longtemps. L’UE est une obsession de ce gouvernement. L’Europe est peut-être mieux structurée que les Etats-Unis, mais ce n’est pas non plus le marché le plus prometteur. Ce que le Conseil fédéral propose, un accord-pilote dans le domaine de l’énergie en y introduisant un lien institutionnel, est tout à fait dangereux. Il s’agit d’une demi-adhésion à l’UE qui pourrait s’avérer lourde de conséquences, étant donné la détresse financière qui prévaut en Europe. Le gouvernement préfère visiblement nous emmener sur le chemin de la Grèce plutôt que sur celui de la Chine…

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