Je constate que les entreprises sont désormais dominées par des managers qui ne s’intéressent qu’au profit

Interview dans «Bilan» du 06.12.2010

A)La presse

Vous critiquez souvent les journalistes. Pourquoi?

Je regrette que les médias défendent tous les mêmes convictions. Dans une démocratie, cette situation n’est pas saine. Au XIXème siècle, chaque titre militait pour un parti politique. La population pouvait facilement s’y retrouver. Cette époque est révolue.

Etes-vous nostalgique?

Non. Je constate que les entreprises sont désormais dominées par des managers qui ne s’intéressent qu’au profit. Or, la presse est une activité relativement peu rentable. C’est pour cette raison qu’elle est concentrée dans les mains d’un faible nombre de propriétaires. Tamedia possède le Tages Anzeiger et la presse locale à Zurich, la Berner Zeitung et le Bund à Berne et a acquis Edipresse en Suisse romande, alors que le groupe NZZ dispose du quotidien éponyme à Zurich et contrôle le marché à St-Gall et en Thurgovie. Cette concentration est très néfaste. Car elle génère une pensée uniformisée.

Comment peut-on rendre la presse plus diverse?

Elle pourrait le devenir si des entrepreneurs investissaient dans cette activité. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Et vous, pourquoi ne créez-vous votre propre quotidien?

Ce n’est pas possible. Je suis trop exposé sur le plan politique. Regardez ce qui s’est passé à Bâle. Le financier Tito Tettamanti, qui a racheté le groupe BZM (l’éditeur de la Basler Zeitung), m’a sollicité pour restructurer l’entreprise. Or, on m’a pris pour le diable en pensant que j’allais intervenir dans la ligne du quotidien, alors que mon objectif ne visait qu’à permettre à BZM de retrouver les chiffres noirs.

Pourquoi avez-vous accepté ce mandat?
Parce que je suis favorable à la concurrence.  Pour éviter une concentration encore plus forte, Tito Tettamanti estimait qu’il ne fallait pas que la NZZ puisse racheter la Basler Zeitung.  Il voulait agir comme il l’avait fait autrefois avec le groupe Jean Frey lorsqu’il a revendu une partie (la Weltwoche) à Roger Köppel et une autre à l’Allemand Axel Springer.

N’avez-vous pas aussi pris cet engagement par pure provocation?

Non. Mais je savais que ce mandat allait provoquer beaucoup de réactions.

Vous avez donc réussi votre coup…
Avant l’arrivée de Tito Tettamanti dans le capital, aucun Bâlois n’a voulu s’engager pour sauver BZM. Aujourd’hui, c’est le cas grâce à Moritz Suter, le fondateur de Crossair. Tant mieux.

Que retenez-vous de cette aventure?
D’abord, les difficultés de BZM  sont clairement établies. Auparavant, on cherchait à cacher la vérité. Ensuite, les Bâlois ont découvert le véritable visage des socialistes qui militaient pour le chaos. Enfin, cet épisode a montré que les journalistes de la Basler Zeitung sont clairement de gauche.

Vous êtes irrité…

Bien sûr. Toute la presse défend les mêmes idées, à l’exception de la Weltwoche. C’est honteux. De leur côté, la télévision et la radio publiques appartiennent à l’Etat et sont à la solde du gouvernement. Quant aux tv et radios privées, c’est encore l’Etat qui accorde les concessions et donne un soutien financier. En Italie, la situation est bien meilleure avec le chef du gouvernement Silvio Berlusconi. On sait qu’il est le propriétaire de chaînes de TV, mais il doit faire face à la concurrence de la RAI, la télévision publique.  Si Silvio Berlusconi se retire, il conserve ses TV. Mais lorsque Moritz Leuenberger démissionne, la TV reste aux mains de l’Etat.


B)La Suisse et l’UE

Le Conseil fédéral négocie avec l’UE dans plusieurs domaines, notamment dans la fiscalité des sociétés, l’électricité, etc. Comment doit-il agir?

Il ne doit pas signer de nouveaux accords. Il n’y aucune nécessité à le faire et aucun avantage à en retirer.  Si le Conseil fédéral négocie, c’est parce qu’il veut que la Suisse adhère à l’UE sans que la population s’en aperçoive. C’est pour cette raison qu’il faut refuser tout nouvel accord. Il n’est pas non plus acceptable de reprendre, comme nous le faisons, le droit européen dans notre législation. C’est une satellisation de la Suisse.

Si nous étions membre de l’UE, nous pourrions au moins participer à la prise de décision. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui…

Et alors. La Suisse ne doit jamais adhérer.

Vous êtes tout de même favorable à trouver une solution avec nos voisins dans le domaine de l’imposition de l’épargne…

Je soutiens les négociations  relatives à l’impôt libératoire sur les fortunes déposées en Suisses par les ressortissants européens. Un éventuel accord nous permettrait de conserver le secret bancaire en échange du prélèvement d’un impôt anticipé.

La zone euro est au bord de l’éclatement. Les antieuropéens s’en réjouissent. Vous aussi?

Non. Je ne peux pas me réjouir de ce qui passe même si, dans le passé, j’avais souligné les difficultés auxquelles seraient confrontés ses membres. Une monnaie unique ne peut pas fonctionner dans une zone monétaire comprenant des économies aussi différente que la Grèce et l’Allemagne.

La Suisse est aussi touchée. Le franc s’est beaucoup apprécié depuis le début de cette année…

Ce phénomène diminue la rentabilité des entreprises sur le court terme. Mais je ne me fais aucun souci pour le long terme. Prenez le dollar. Sa forte dépréciation depuis le début des années 1970 n’a pas empêché la Suisse de vendre toujours plus de marchandises à l’étranger. Détenir une monnaie forte est un atout. Surtout pour les consommateurs. L’appréciation du franc a permis de contenir la hausse des prix à l’importation. Ce qui a atténué le renchérissement du coût de la vie.

Pour éviter une trop forte envolée de notre devise, la Banque nationale a acheté des euros pour plusieurs dizaines de milliards de francs. A-t-elle eu raison d’agir ainsi?

Non. Elle a acquis beaucoup trop d’euros. C’était inutile. Il n’y a eu aucun effet positif.

C)L’économie suisse

La croissance de l’économie helvétique est satisfaisante. Quelles réformes faut-il entreprendre afin de poursuivre sur cette lancée?

Je dirais même que notre économie est en surchauffe. Une surchauffe provoquée indirectement par la forte demande en provenance de la Chine et de l’Inde. Si la Suisse se porte aussi bien, c’est parce qu’elle n’est pas membre de l’UE. Avant de parler de réformes, défendons avant tout nos avantages.  Pour cela, restons maître de notre destin en adhérant jamais à l’UE et conservons notre démocratie directe, surtout dans le domaine des impôts, ainsi que notre monnaie.

Est-il nécessaire de poursuivre les réformes dans le domaine social?

A mon avis, il ne faut surtout pas augmenter les prestations des différentes assurances sociales. Pour l’AVS, qui est la plus importante d’entre elles, je ne suis pas pessimiste pour autant que l’économie fonctionne bien. Il est cependant nécessaire d’augmenter l’âge de la retraite pour les femmes à 65 ans, puis pour les hommes à 66 ou 67 ans vers 2020. A l’avenir, le principal défi réside dans l’assurance-chômage en raison de notre politique d’ouverture à l’égard des étrangers.

C’est-à-dire?

Avec la libre-circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, les travailleurs étrangers peuvent rester chez nous même s’ils sont au chômage et donc bénéficier des prestations de cette assurance. On en vu les conséquences en 2009 lorsque la conjoncture était mauvaise avec une hausse importante des chômeurs d’origine étrangère. J’estime qu’il est urgent réformer le système en instaurant une période de carence, entre un an et deux ans, avant que ces derniers puissent toucher des indemnités.

Vous voulez donc créer une distinction entre les Suisses et les immigrés…

Un étranger qui vient en Suisse pour travailler sait qu’il peut aussi se retrouver au chômage. C’est un risque qu’il doit assumer conjointement avec son pays d’origine.

La libre-circulation des personnes a largement profité à la Suisse. Sa forte croissance s’explique par un afflux de main d’œuvre…

Avec cet accord, les entreprises peuvent mieux choisir leurs collaborateurs. Je ne le conteste pas.  Mais lorsque, jadis, la Suisse limitait l’accès à son marché du travail, les entreprises  recevaient aussi les autorisations nécessaires pour engager de la main d’œuvre étrangère. Aujourd’hui, il faut pouvoir à nouveau règlementer cette dernière afin qu’elle puisse correspondre au plus près aux besoins de l’économie: engager des étrangers si c’est nécessaire et pouvoir les renvoyer dans leurs pays s’il n’y a plus de travail pour eux.  Nos infrastructures (routes, écoles, hôpitaux, construction, etc.) ne sont pas prêtes pour accueillir une immigration aussi importante que celle enregistrée au cours de ces dernières années.

Comment comptez-vous agir pour modifier la loi sur le chômage? En lançant une initiative?

L’UDC est très préoccupée. Nous savons que quant il y aura une baisse conjoncturelle, nous aurons des graves problèmes à cause de l’augmentation incontrôlable des prestations sociales. C’est pour cette raison qu’il faut agir maintenant pour éviter les problèmes dû à la libre circulation des personnes. Pour le moment nous n’avons pas encore décidé comment agir, mais, c’est sûr, on agira.

Faut-il aussi dénoncer l’accord sur la libre-circulation avec l’UE?

Oui. La libre-circulation ne fonctionne pas, y compris au sein de l’UE. Aujourd’hui, même la Grande-Bretagne a pris des mesures pour limiter l’immigration.  Il y a quelques années, les intellectuels et les universitaires se moquaient de nous lorsque nous militions contre l’ouverture des frontières. Aujourd’hui, le monde académique alémanique partage notre préoccupation parce que des Allemands prennent la place des Suisses dans les hautes écoles. Son attitude me fait bien rire.

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