L’Invité

Christoph Blocher, industriel, conseiller national

Interview dans «L’Agefi» du 6 décembre 2002

La meilleure politique européenne
est une bonne politique intérieure

Il y a aujourd’hui dix ans que le peuple et les cantons ont rejeté l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE). Par ce vote, les citoyennes et les citoyens se sont prononcés en faveur d’une voie suisse autonome, la voie suisse en Europe et dans le monde. Ce scrutin a permis d’empêcher l’adhésion prévue à l’UE et d’éviter un traité colonial indigne, qui nous aurait obligés à reprendre plus de 80% du droit existant de la CE. La Suisse aurait également dû accepter, sans avoir son mot à dire, les lois futures et donc encore inconnues de la CE. Ce vote a permis d’autre part à la Suisse de maintenir sa prospérité, précisément hors de l’EEE et de l’UE. Si, depuis, la croissance économique a été faible, cette faiblesse est due à une mauvaise politique fédérale qui nous a valu un endettement accru, un Etat social envahissant et une augmentation en flèche de la charge fiscale.

Les milieux économiques, autrefois chauds partisans de l’UE, ont depuis reconnu qu’une Suisse indépendante et ouverte sur le monde est un modèle à succès. L’économie juge aujourd’hui une adhésion à l’UE de manière clairement négative. Les prédictions apocalyptiques au sujet d’une Suisse sans EEE se sont révélées être de monumentales erreurs de prévision: la catastrophe économique évoquée par les partisans ne s’est pas produite. Au contraire, la Suisse a pu dans l’ensemble maintenir sa bonne position économique, malgré des décisions médiocres en politique intérieure. Une société de citoyens libres, déterminés à assumer leurs responsabilités, peut mener une politique plus efficace qu’une vaste structure réglementée jusque dans le moindre détail et soumise à une pression d’harmonisation vers le bas. Une Suisse indépendante et souveraine permet d’agir de manière plus innovatrice, plus performante et plus compétitive qu’une UE organisée de manière centralisée. Une telle politique implique toutefois que le Conseil fédéral et le Parlement tiennent compte de cette volonté et qu’ils exercent en conséquence le mandat d’indépendance dont ils sont investis.

Par son non à l’EEE et son rejet massif de l’initiative “Oui à l’Europe”, le peuple suisse a clairement donné mandat à son gouvernement de maintenir l’indépendance de notre pays. En dépit de celui-ci, le Conseil fédéral maintient la demande d’adhésion à l’UE et considère depuis peu l’adhésion à l’UE comme un “projet en chantier”. Cette attitude ambiguë porte un préjudice énorme à notre pays. Elle affaiblit notre position de négociation face à l’UE dans les accords sectoriels et le double langage du Conseil fédéral concourt à diviser notre pays. Comme l’ont montré les votations dans ce domaine, la moitié de la population suisse ne se sent plus représentée par la politique étrangère du Conseil fédéral et de la majorité du Parlement. Contre la volonté du peuple et contre toutes les objections politiques et économiques, Conseil fédéral, PS, PRD et PDC maintiennent l’objectif d’une adhésion à l’UE. Ils sont prisonniers du piège européen. La hâte manifestée dans la question de l’adhésion a énormément affaibli la position de la Suisse dans les négociations bilatérales. Cette folie furieuse en matière de politique étrangère a procuré à la Suisse de mauvais traités et affaiblira également la position du pays dans les négociations futures.

L’activisme en politique étrangère est toujours un signe d’échec en politique intérieure. Au lieu de déléguer son incompétence politique à Bruxelles, il faudrait que notre élite politique rende des comptes ici et maintenant pour son échec. En particulier, il faudrait prendre les mesures suivantes: le Conseil fédéral et le Parlement devraient enfin reconnaître qu’une adhésion à l’UE n’entre pas en ligne de compte pour la Suisse et les négociations sur les accords bilatéraux II devraient être interrompues: dans les conditions actuelles, la Suisse n’y gagnerait rien de substantiel, mais devrait accepter de nombreux désavantages. Enfin, le Conseil fédéral doit abandonner sa position ambiguë et retirer immédiatement sa demande d’adhésion. Au lieu de déployer une activité stérile en politique étrangère, le gouvernement devrait affronter la gabegie actuelle sur le plan intérieur: il s’agirait notamment d’assainir les finances fédérales, d’abaisser la quote-part fiscale, de réduire l’endettement et de réduire l’Etat social. Il en résulterait de la croissance, des emplois et de la prospérité pour tous.

Christoph Blocher

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