Nous n’avons pas besoin de génies au gouvernement

Interview dans Le Temps du 2 novembre 2002

Christoph Blocher, invité du Forum de Glion vendredi, estime que la re-présentation féminine au Conseil fédéral est un argument moins important qu’il y a dix ans. Le conseiller national UDC zurichois évoque le rôle qu’entend jouer son parti face aux échéances électorales et ses per-spectives en Suisse romande, ainsi que la situation économique du pays.

Texte Yves Petignat et Jean-Marc Béguin

Invité du Forum de Glion, Christoph Blocher a profité de l’occasion pour passer en revue et commenter les thèmes de l’actualité politique suisse. De la succession de Ruth Dreifuss au Conseil fédéral à la restructuration de La Poste en passant par les élections de 2003, l’initiative de son parti sur l’asile et la situation éco-nomique, le conseiller national UDC zurichois répond au Temps.

Le Temps: Quel objectif visez-vous en présentant un candidat UDC à la uccession de Ruth Dreifuss, puisqu’il n’a aucune chance?

Christoph Blocher: C’est une stratégie de responsabilité. L’UDC est le plus grand parti de Suisse, il doit signaler à chaque occasion qu’il est prêt à gouverner. On dira qu’il est plus intéressant d’être dans l’opposition que dans le gouvernement, cela permet de bouger davantage. Mais nous voulons mettre en demeure les radicaux et les démocrates-chrétiens en les obligeant à répondre à cette
question: voulez-vous continuer à gouverner avec les socialistes, ou êtes-vous prêts à gouverner avec l’UDC? S’ils n’élisent pas notre candidat, ils indiqueront qu’ils ne sont pas prêts à gouverner avec nous.

Si tel est le cas, pourquoi ne vous retirez-vous pas du gouvernement?

Blocher: Il nous est interdit de sortir, sauf si on nous chasse! Cela voudrait dire que nous choisissons la pure opposition. L’opposition est certes une chose nécessaire, pour un gouvernement comme dans une entreprise. Mais nous voul-ons montrer que nous sommes aussi prêts à travailler, à construire. A l’intérieur du gouvernement, au moins pouvons-nous améliorer un peu la qualité des décisions.

Pourquoi ne vous présentez-vous pas vous-même?

Blocher: En réalité, je n’ai pas envie d’être conseiller fédéral. Je préfère être numéro un dans mon entreprise, Ems-Chemie, plutôt qu’un parmi sept à Berne. Et puis, je n’ai pas le goût de l’administration. Tous ces règlements, ces lois, ce n’est pas mon genre. D’ailleurs, si j’étais élu, les autres se réjouiraient de pouvoir enfin me ligoter. Ils pensent que je serais moins fort qu’en dehors du gouvernement, et c’est sans doute vrai. Cela dit, si l’on m’élisait, je pense que je serais capable et je ne me déroberais pas.

Quelle est votre opinion sur les candidats socialistes?

Blocher: Je n’en connais qu’un, Jean Studer. Les autres… c’est comme en 1999. Ruth Metzler n’a gagné que d’une voix devant Rita Roos. Je lui ai toujours dit qu’elle me devait son élection, car cette voix, c’était la mienne! Et pourquoi ai-je voté pour elle, qui m’était parfaitement inconnue? Parce que je connaissais sa concurrente, dont je ne voulais pas! Mais, au fond, tout cela n’a pas beaucoup d’importance: un candidat ou un autre, c’est un peu la même chose. A Berne, c’est de toute manière l’administration qui gouverne.

Jean Studer serait donc, en définitive, un candidat acceptable?

Blocher: Un socialiste reste un socialiste… mais pourquoi pas, si un socialiste doit être élu? Encore une fois: nous n’avons pas besoin de génies au gouver-nement. Mieux vaut des gens modestes, bons gestionnaires, qui ne cherchent pas à en faire trop. Pourquoi pas Jean Studer?

Vous n’êtes donc pas sensible à la revendication féminine?

Blocher: Ce n’est plus une question très importante. Ce fut le cas il y a dix ans, peut-être. Ma femme est mieux représentée en politique par moi que par beau-coup d’autres femmes…

Pour l’UDC, cette élection n’est qu’un galop d’essai avant le test important de décembre 2003, qui suivra les élections fédérales. Vous réclamez à cor et à cri un deuxième siège au Conseil fédéral contre le PDC: que se passera-t-il s’il vous est refusé?

Blocher: Nous continuerons notre stratégie d’opposition et nous l’amplifierons. Je ne suis pas pressé: il faut du temps en politique pour triompher. Lula, au Brésil, a attendu vingt-deux ans. Moi j’ai commencé il y a vingt-six ans en devenant président de l’UDC zurichoise. Regardez le chemin déjà parcouru!

Quels sont vos objectifs en Suisse romande?

Blocher: Je ne peux pas gagner la Suisse romande moi-même: aux UDC romands de le faire. Mais le potentiel est énorme. L’attitude vis-à-vis du parti et de ma personne a complètement changé. J’ai été longtemps diabolisé, aussi long-temps que les élites pro-européennes m’ont désigné comme l’ennemi de la cause, le faiseur du «Röstigraben». En 1992, au moment de la votation sur l’EEE, on re-fusait de m’interviewer en Suisse romande. Si j’apparaissais en public, je recevais des œufs ou des tomates. Pourtant, je n’ai pas changé. Je suis resté fidèle à mes
idées. Ce sont les gens qui ont changé.

Quelles chances donnez-vous à votre initiative sur l’asile, le 24 novembre, à la-quelle les premiers sondages sont très favorables?

Blocher: J’ai peur de l’échec. Depuis la publication des sondages, le Conseil fédéral a changé de politique. Il est tout d’un coup très ferme vis-à-vis des emandeurs d’asile. Regardez le renvoi précipité des Rom! Ils vont encore faire
quelques gestes spectaculaires de ce genre. Et, après la votation, tout re-commencera comme avant. – Mais votre initiative, qui propose le renvoi des re-quérants dans le pays de premier accueil, est impraticable dans la réalité. Si le texte est accepté et que rien ne change, on dira que l’UDC a trompé les électeurs. – C’est notre responsabilité et nous sommes prêts à l’assumer. Je ne dis pas
que l’on peut apporter une solution parfaite à ce problème. Ce qui compte, c’est de donner un signal politique. Il faut rendre la Suisse moins attractive.

La Suisse paraît entrer dans une période de tensions sociales: craignez-vous qu’elles ne s’aggravent?

Blocher: Les choses sont toujours plus dures en période de récession, et les tensions ne feront qu’augmenter avec la libre circulation des personnes en pro-venance de l’Union européenne. La compétition va s’accroître sur le marché du travail. Mais je ne crois pas à une confrontation longue, ni dure.

Les perspectives conjoncturelles sont pourtant très noires.

Blocher: La récession ne sera pas courte. Il s’agit d’un ajustement classique après une période de haute conjoncture, pendant laquelle les gens font toujours beaucoup de bêtises. Tout le monde a trop investi. Moi-même, dans mon entre-prise, j’ai sans doute succombé à cette tentation. Il faut donc le temps de la
correction. Et puis l’activité repartira.

Le gouvernement ne doit rien entreprendre pour relancer la machine?

Blocher: Lorsqu’il le fait, c’est toujours trop tard. Bien sûr, on peut libérer quel-ques forces pour des investissements, comme les routes nationales, pourvu qu’on
économise ailleurs, dans l’administration. Mais la seule bonne politique, au-jourd’hui, serait une baisse des impôts et des taxes. Cela donnerait un avantage concurrentiel formidable à la Suisse, au moment où l’Allemagne s’apprête à en-core augmenter sa fiscalité. Beaucoup d’entreprises allemandes seraient alors incitées à déménager chez nous, et tout le monde en profiterait.

Que pensez-vous de la décision de La Poste, qui va supprimer 15 centres de tri, au détriment des régions périphériques, dont la vôtre?

Blocher: C’est sans doute la meilleure solution industrielle, il n’y a donc pas à hésiter. On peut donner autre chose aux régions périphériques. Je trouve plus utile de conserver quelques bureaux de poste dans les villages, par exemple.

Vous restez décidé à entrer au conseil d’administration de Lonza: est-ce parce que vous ne faites pas confiance à la direction de l’entreprise?

Blocher: Après la vente des actions de Martin Ebner, je suis devenu le premier actionnaire. Il est donc tout à fait normal que je puisse exercer ma responsabilité dans le groupe. Je ne veux pas me rendre compte trop tard d’erreurs qui pourraient y être commises, comme cela se passe si souvent.

 

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